Au cours des derniers siècles, la faune marine a toujours été particulièrement riche sous les tropiques, et en particulier autour de l’équateur. À l’inverse, le nombre d’espèces diminue naturellement à mesure que l’on s’approche des pôles. Ce modèle de répartition a toujours été considéré comme stable, mais une récente étude montre que la température de l’océan autour de l’équateur est aujourd’hui trop élevée. Conséquence : les espèces se déplacent vers les eaux plus fraîches, ce qui aura malheureusement de profondes implications pour les écosystèmes marins et les moyens de subsistance humains.
Les experts l’avaient prédit il y a cinq ans et disposent aujourd’hui de nouvelles preuves tirées d’observations. Bien que le réchauffement de 0,6°C constaté au niveau de l’équateur au cours des 50 dernières années soit relativement modeste par rapport au réchauffement observé aux latitudes plus élevées, il est désormais clair que les espèces marines de la région sont obligées de se déplacer pour retrouver un certain « confort thermique ».
Les scientifiques à l’origine de cette étude soulignent par ailleurs que le phénomène s’est produit il y a 252 millions d’années… entraînant la disparition de 90% des espèces marines ! Le réchauffement climatique pourrait donc, d’ici la fin de ce siècle, réduire la diversité océanique tropicale à un niveau sans précédent dans l’histoire de l’humanité.
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Un déclin qui s’accentue rapidement
Le modèle de répartition des espèces marines en fonction de la latitude — que l’on appelle le gradient de diversité latitudinale — se traduit par une courbe en forme de cloche : le nombre culmine au niveau de l’équateur, puis diminue à mesure que l’on se rapproche des pôles. Dans le cadre de leur nouvelle étude, les chercheurs ont analysé la distribution de près de 50’000 espèces marines, sur trois périodes, entre 1955 et 2015. La comparaison des courbes montre clairement que le nombre d’espèces au niveau de l’équateur diminue au fil du temps, tandis qu’il tend à culminer au-delà de 25° de latitude environ, soit au-delà des tropiques.
Plus précisément, aujourd’hui, c’est autour de 30°N (soit au large du nord du Mexique et des côtes sud de la Chine) et autour de 20°S (soit au large du sud du Brésil et du nord de l’Australie), que l’océan est le plus riche en espèces.
La cause de ces migrations massives ? Le changement climatique. En effet, le réchauffement des océans s’est accéléré au cours des dernières années, forçant les espèces à fuir les eaux équatoriales pour des zones plus adaptées à leurs besoins — ce qui explique pourquoi le creux autour de l’équateur ne cesse d’augmenter. Pour chacun des 10 grands groupes d’espèces étudiés (y compris les poissons pélagiques, les poissons de récif et les mollusques), il apparaît que leur nombre s’est stabilisé ou a légèrement diminué aux latitudes affichant des températures moyennes annuelles de surface de la mer supérieures à 20°C.
Les scientifiques sont d’autant plus inquiets que le phénomène se soit déjà produit plusieurs fois dans l’histoire de notre planète et qu’il ait eu des conséquences dramatiques. Ainsi, à la fin de la période géologique permienne, il y a environ 252 millions d’années, les températures mondiales se sont réchauffées de 10°C sur 30 000 à 60 000 ans, en raison des émissions de gaz à effet de serre d’éruptions volcaniques en Sibérie. Or, une étude publiée en 2020 rapporte que le réchauffement à cette époque avait entraîné une « réorganisation » de la biodiversité similaire à ce que l’on observe aujourd’hui — soit un glissement des espèces vers des eaux plus froides — qui avait abouti à la disparition de 90% des espèces marines.
Une autre étude publiée en 2012 rapporte que lors de la dernière ère interglaciaire, il y a 125 000 ans — résultant d’un réchauffement climatique rapide — les récifs coralliens se sont déplacés loin des tropiques. C’est du moins ce que suggère l’analyse des archives fossiles. Aucune extinction de masse n’a cependant été associée à cette époque. Enfin, les chercheurs soulignent que cette baisse de la diversité océanique tropicale n’est pas un phénomène récent. Le déclin a sans doute commencé après la dernière période glaciaire, il y a environ 15 000 ans : depuis lors, les populations de foraminifères — des organismes unicellulaires dotés d’une coquille minérale qui tiennent un rôle écologique capital — ne cessent de diminuer.
Un impact tant humain qu’écologique
Qu’implique concrètement le déplacement des espèces marines ? Pour commencer, elles pourraient avoir des difficultés à s’adapter aux régions subtropicales, où elles devront également rivaliser avec les espèces déjà présentes. En effet, du fait que le nombre d’espèces va augmenter au niveau des écosystèmes subtropicaux, de nouvelles interactions prédateurs-proies et de nouvelles relations de compétition (pour la nourriture et l’habitat) vont apparaître. De ce fait, c’est tout un écosystème qui pourrait s’effondrer de par la disparition de certaines espèces et la fluctuation permanente des services écosystémiques (tels que l’approvisionnement alimentaire).
Parallèlement, le phénomène aura un net impact sur l’Homme, notamment sur les populations des pays insulaires tropicaux qui dépendent largement des revenus de la pêche. En effet, les espèces de thons, particulièrement mobiles, sont susceptibles de se déplacer rapidement vers les régions subtropicales, potentiellement au-delà des eaux souveraines des nations insulaires. De même, de nombreuses espèces de récifs essentielles aux pêcheurs artisanaux, ainsi que la mégafaune (requins-baleines, raies manta, tortues marines, …) qui représente un pilier du tourisme pour ces pays, sont également susceptibles de se déplacer vers les régions subtropicales.
Selon le Marine Protection Atlas, à ce jour, 2,7% des réserves océaniques sont hautement protégées — un chiffre bien en deçà de l’objectif initial fixé par la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique, qui prévoyait de protéger 10% des océans d’ici 2020. Face à ce constat, la Global Ocean Alliance — une alliance de 41 pays, menée par le Royaume-Uni — s’est fixée un nouvel objectif de protection : faire en sorte que 30% de l’océan mondial soit complètement protégé d’ici 2030.
Parmi les mesures envisagées : interdire l’exploitation minière des fonds marins et supprimer la pêche dans les réserves, qui détruisent les habitats et peuvent libérer autant de dioxyde de carbone que l’aviation mondiale. De telles mesures supprimeraient les pressions sur la biodiversité et favoriseraient la résilience écologique, qui est aujourd’hui clairement menacée.