Chaque jour, le cerveau reçoit d’innombrables signaux sensoriels d’intensité variable, certains finissant par « atteindre la conscience » tandis que d’autres, bien que d’intensité similaire, restent dans l’ombre de l’inconscience. Depuis des dizaines d’années, les scientifiques tentent donc de comprendre pourquoi il existe cette différence dans le traitement des signaux. Quels sont les mécanismes impliqués dans le contrôle de l’accès à la conscience ?
Dans le cadre d’une nouvelle étude du département d’anesthésiologie et du Center for Consciousness Science du Michigan Medicine, des chercheurs ont identifié une zone clé du cortex cérébral qui semble être la « porte de la conscience ». Les résultats ont été publiés dans la revue Cell Reports.
« Le traitement de l’information dans le cerveau possède deux dimensions : le traitement sensoriel de l’environnement sans conscience et celui qui se produit lorsqu’un stimulus atteint un certain niveau d’importance et entre dans la conscience », explique Zirui Huang, docteur en médecine et chercheur au département d’anesthésiologie.
Huang, ainsi que le chercheur principal Anthony Hudetz et leur équipe, ont tenté de confirmer que ce changement se produit dans une partie du cerveau appelée cortex insulaire antérieur (AIC), agissant comme une sorte de porte séparant les informations sensorielles de bas niveau de la conscience de niveau supérieur.
Inhiber la conscience par l’anesthésie
Pour les expériences, des participants ont été placés dans une machine d’IRMf et ont reçu du propofol, un médicament anesthésiant, afin de contrôler leur niveau de conscience. On leur a ensuite demandé de s’imaginer en train de jouer au tennis, de marcher le long d’un chemin ou de serrer leur main, ainsi que d’effectuer une activité motrice (serrer une balle en caoutchouc) alors qu’ils perdaient progressivement conscience et la retrouvaient après l’arrêt de l’injection de propofol.
Des recherches antérieures ont montré que l’imagerie mentale produit une activité cérébrale similaire à l’exécution réelle de l’activité. Lorsque les participants s’imaginent en train de jouer au tennis, la partie du cerveau responsable du contrôle des mouvements s’active. D’autres régions du cerveau sont désactivées lors de l’exécution de tâches, car l’attention mentale est concentrée sur l’activité.
Lorsque les participants ont commencé à perdre conscience, les désactivations ont été moins fréquentes. Lorsqu’ils ont complètement perdu connaissance, les zones cérébrales correspondantes n’ont pas non plus montré d’activation en réponse aux tâches d’imagerie mentale.
Lorsqu’ils reprenaient un peu conscience, ils retrouvaient une certaine activité liée à l’imagerie mentale et, lorsqu’ils étaient complètement conscients peu après, leur cerveau présentait des schémas d’activation normaux. L’étude de la corrélation entre ces états de conscience a révélé que l’activation du cortex insulaire antérieur jouait un rôle clé dans le passage réussi entre ces activations et désactivations.
Le rôle de déclenchement de l’AIC est cohérent avec les résultats obtenus chez les participants éveillés, dont l’accès conscient est prédit par l’activité de l’AIC avant le stimulus, près du seuil perceptif. Ces données soutiennent l’hypothèse selon laquelle l’AIC, situé à une position intermédiaire de la hiérarchie corticale, régule les transitions du réseau cérébral qui permettent l’accès à la conscience.
Cortex insulaire : le filtre de la conscience
« Un stimulus sensoriel active normalement le cortex insulaire antérieur », explique Hudetz. « Mais lorsque vous perdez conscience, le cortex insulaire antérieur est désactivé et les changements de réseau dans le cerveau qui soutiennent la conscience sont perturbés ». Le cortex insulaire antérieur, explique-t-il, pourrait agir comme un filtre qui ne permet qu’aux informations les plus importantes d’entrer dans la conscience.
Les chercheurs ont tenté de confirmer leur hypothèse au moyen d’une autre expérience psychologique classique, dans laquelle un visage est brièvement projeté sur un écran pendant une durée à peine perceptible de trois centièmes de seconde. L’image du visage est suivie d’une image brouillée à haut contraste conçue pour interrompre le traitement conscient de l’image du visage. Il était ensuite demandé aux participants s’ils avaient vu un visage ou non. Résultat : l’activation du cortex insulaire antérieur permettait de prédire si le visage avait été vu consciemment.
« Le cortex insulaire antérieur a une activité qui fluctue continuellement », explique Huang. « La détection d’un stimulus dépend de l’état de l’insula antérieure lorsque l’information arrive dans le cerveau : si l’activité de l’insula est élevée au moment du stimulus, vous verrez l’image. Sur la base des résultats de ces deux expériences, nous concluons que le cortex insulaire antérieur pourrait être une porte pour la conscience ».