De nombreux animaux marins migrent de façon cyclique. Les cétacés sont par exemple connus pour effectuer de longs voyages vers des eaux plus propices à la reproduction. Les requins sont eux aussi des animaux migrants connus. Une nouvelle étude, menée par des chercheurs de l’Université d’État de Floride, révèle que ces derniers sont capables d’utiliser le champ magnétique terrestre pour s’orienter vers leur lieu de vie d’origine.
La migration des animaux marins a des implications importantes pour l’évolution, l’écologie et la conservation des espèces. Les requins et les raies, qui appartiennent tous deux à la sous-classe des Elasmobranchii, font partie des poissons marins les plus importants du point de vue écologique : nombre de ces espèces sont très mobiles et leurs habitats peuvent s’étendre sur des milliers de kilomètres.
Pour tous les animaux marins, le champ magnétique terrestre semble jouer un rôle majeur dans les migrations. Néanmoins, cela n’avait pas encore été mis en évidence chez les requins. Cette nouvelle étude permet d’expliquer comment les requins parviennent à parcourir de très longues distances, puis à retourner chaque année au même endroit pour se nourrir et se reproduire.
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Un retour spontané vers « la maison »
L’objectif de l’équipe de biologistes était double : il s’agissait de déterminer d’une part si les requins utilisaient bel et bien le champ magnétique pour s’orienter et d’autre part, de déterminer si cette capacité pouvait expliquer les modèles géographiques de variation génétique observée chez les requins.
Dans le cadre de cette étude, les chercheurs ont capturé 20 jeunes requins-marteaux tiburo, au large de la Floride, dans le golfe du Mexique. Ces animaux ont ensuite été transportés au laboratoire de la Florida State University, afin de les soumettre à diverses conditions magnétiques, représentatives du champ magnétique caractéristique de régions se trouvant à des centaines de kilomètres de l’emplacement de leur capture. Les différents champs magnétiques ont été générés à l’aide d’un système de bobines de Merritt, encadrant le bassin du requin dont les déplacements étaient observés à l’aide d’une caméra.
Plus précisément, chaque requin a été soumis de manière aléatoire à trois champs différents : 1) le champ magnétique du site de capture (utilisé comme témoin), 2) un champ équivalent à celui existant à environ 600 km au sud du site de capture dans le golfe du Mexique (intensité magnétique plus faible et inclinaison réduite par rapport au témoin), et 3) un champ équivalent à celui qui existe à environ 600 km au nord de la capture, dans la zone continentale des États-Unis.
Or, lorsque les requins ont été exposés aux signaux magnétiques typiques du site se trouvant à 600 km au sud de leur lieu de capture, ils se sont spontanément tournés pour nager en direction du nord, suggérant une tentative de retour à leur lieu de vie. En revanche, lorsqu’ils étaient exposés au champ typique de la zone continentale des États-Unis, les requins ne se sont pas réorientés ; aucune préférence d’orientation n’a non plus été observée dans le champ témoin (site de capture).
Ces résultats suggèrent que les requins peuvent effectivement différencier les zones géographiques en utilisant les informations du champ magnétique terrestre. Les animaux ont a priori perçu le champ magnétique sud comme différent du champ existant sur le site de leur capture ; ils ont donc répondu à ce changement en s’orientant vers leur lieu d’origine.
Une structure génétique façonnée par la navigation magnétique ?
Pour expliquer la non-réaction des requins lorsqu’ils étaient soumis au champ magnétique du nord, les chercheurs suggèrent qu’ils n’avaient tout simplement aucune expérience d’un champ magnétique aussi puissant, car il se trouve en dehors de leur aire de répartition ; les requins ne semblent pas savoir comment réagir à de telles conditions, leur carte magnétique serait donc « apprise ».
Cette conclusion est par ailleurs cohérente avec la découverte, chez certains animaux, de cartes magnétiques « innées » : les nouveau-nés tortues caouannes sont par exemple incapables de s’orienter dans des champs magnétiques différents de ceux de leur route migratoire normale ; en revanche, leurs déplacements sont nettement orientés dans l’aire de répartition typique de l’espèce. Les chercheurs estiment néanmoins qu’une étude plus approfondie est nécessaire pour confirmer que les champs magnétiques familiers génèrent des réponses d’orientation plus franches.
L’auteur principal de l’étude, Bryan Keller, et son équipe pensent que ce système de navigation des requins-marteaux est commun à d’autres espèces de requins, car il est peu probable que cette espèce en particulier ait évolué en développant une sensibilité aux forces magnétiques, sans que d’autres espèces migrantes aient elles aussi développé cette capacité. « Nous nous attendons à ce que ces capacités soient également observées chez d’autres espèces, comme le grand blanc, pour parcourir 20 000 km aller-retour et revenir au même endroit », précise Keller.
Cette découverte pourrait avoir des implications importantes pour comprendre les migrations actuelles et les schémas biogéographiques des requins ; les différences génétiques entre les populations pourraient notamment être prédites par la variation spatiale du champ magnétique. Les chercheurs ont en effet constaté que les différences magnétiques permettaient d’expliquer plus de variation dans l’ADNmt (le génome mitochondrial) que les différences de température ou de distance par rapport à la côte. Dans l’ADN nucléaire, cependant, une quantité similaire de variation s’explique par chacune de ces variables.
Les chercheurs soulignent, en outre, que leur travail apporte une solution à un casse-tête majeur de la biogéographie : comment les routes migratoires et la structure des populations sont-elles maintenues dans les milieux marins, où peu de barrières physiques limitent les mouvements des espèces vagiles ? La capacité des animaux marins à distinguer différentes régions océaniques à l’aide d’indices géomagnétiques est une réponse possible.