La firme de Jeff Bezos fait souvent l’objet de critiques quant aux conditions de travail imposées à ses employés. La semaine dernière, le géant de l’e-commerce espérait sans doute se racheter une conscience en partageant une vidéo montrant son nouveau concept du bien-être : « AmaZen », un box fermé dans lequel les employés sont invités à se réfugier pour « se concentrer sur le bien-être mental ».
En cas de surmenage, les employés peuvent ainsi s’isoler dans une boîte, pas plus grosse qu’une cabine téléphonique, placée au milieu de l’entrepôt, dans laquelle ils peuvent s’asseoir pour visionner des vidéos de méditation. « Les employés peuvent visiter les stations AmaZen et regarder de courtes vidéos présentant des activités de bien-être faciles à suivre, notamment des méditations guidées, des affirmations positives, des scènes apaisantes avec des sons, et plus encore », explique le communiqué de l’entreprise.
Le concept a évidemment de quoi surprendre. Et depuis que la vidéo a été diffusée, les critiques et les moqueries vont bon train sur les réseaux sociaux. Le dispositif est en effet très loin de faire oublier les nombreux « dysfonctionnements » signalés par les employés : des cadences intenables, un taux de blessures (troubles musculo-squelettiques) anormalement élevé, des pauses toilettes restreintes, des licenciements abusifs, etc. Beaucoup estiment que l’argent investi dans l’AmaZen aurait été bien plus utile pour améliorer les conditions de travail.
La sécurité « plus importante que la productivité »
Ce box de méditation s’inscrit dans un programme plus vaste, baptisé WorkingWell, lancé par la firme il y a une quinzaine de jours. Ce programme dédié à la santé et à la sécurité des employés — un projet de plus de 300 millions de dollars — a été mis en place pour aider à prévenir les blessures, et pour fournir des services de bien-être et des soins de santé de qualité. Ce programme offre aux employés « des activités physiques et mentales, des exercices de bien-être et un soutien à une alimentation saine », précise le communiqué.
En plus de l’AmaZen, le programme comprend d’autres mesures visant à diminuer le taux de blessures : les Health & Safety Huddles, qui consistent à regrouper employés et chefs d’exploitation autour de vidéos interactives axées sur la prévention (qui rappellent comment bien manipuler les objets lourds, comment bien se nourrir, etc.) et les Wellness Zones, des espaces dédiés aux exercices d’étirement et de récupération musculaire.
La firme évoque également des centres de bien-être, animés par des représentants médicaux formés aux premiers secours et des entraîneurs sportifs certifiés, ainsi que des centres de santé de quartier, donnant accès à « des soins de santé qualité » aux employés et à leur famille dans un rayon de 16 kilomètres autour de leur lieu de travail et de résidence. Le projet EatWell est quant à lui axé sur la nutrition : des affiches disposées en salle de repos rappellent aux employés quels sont les produits les plus sains en matière d’alimentation. Enfin, un système de notification rappelle régulièrement aux employés, directement sur leur poste de travail, de prendre quelques minutes pour se livrer à quelques exercices (étirements, respiration, méditation) pour se ressourcer.
Selon Jeffrey Ku, un responsable des opérations de l’un des centres de distribution, le bien-être des employés serait la priorité de l’entreprise : « Amazon prend notre sécurité très au sérieux, et mes responsables m’ont clairement fait comprendre que c’était plus important que tout, même que la productivité et la qualité. […] Cela nous encourage à apporter des changements positifs à notre façon de travailler ». « AmaZen me donne l’occasion de prendre le temps de m’arrêter et de me ressaisir, ce qui m’aide à être meilleure au travail », ajoute Katie Miller, employée d’un centre de distribution à Etna, en Californie.
Une tentative (vaine ?) pour redorer son blason
Ces mesures créées en collaboration avec des employés du groupe semblent tout à fait bénéfiques et profitables, mais ne répondent pas vraiment aux priorités des travailleurs. Pendant la pandémie, de par la fermeture de la plupart des commerces « physiques », Amazon a vu ses ventes exploser ; la fortune personnelle de Jeff Bezos aurait augmenté de 70 milliards de dollars, selon The Guardian. Pourtant, les salaires des employés, eux, n’ont pas augmenté. Rappelons qu’ avec 950 000 employés, Amazon est le deuxième employeur privé des États-Unis après Walmart.
Sans compter qu’il est aujourd’hui avéré qu’Amazon lutte activement contre la syndicalisation de ses travailleurs : début avril, les employés d’un entrepôt de l’Alabama ont voté contre la formation d’un syndicat, mais le Syndicat du commerce de détail, de gros et des grands magasins affirme qu’Amazon aurait fait pression et intimidé ses employés pour les empêcher de faire le bon choix. Comment peut-on affirmer faire du bien-être de ses employés une priorité tout en s’opposant à leur syndicalisation ?
On peut également s’interroger sur l’usage réel des mesures mises en place, alors que certains employés ont déjà rapporté être obligés d’uriner dans des bouteilles pour ne pas perdre trop de temps en allant aux toilettes… Ces mêmes employés prendront-ils le temps de « se ressourcer » en s’étirant régulièrement ou en s’enfermant dans l’AmaZen ? Rien n’est moins sûr… Vice a d’ailleurs contacté Amazon pour savoir quand exactement le personnel était supposé utiliser ce box de médiation : devaient-ils en profiter pendant leurs temps de pause déjà très courts ou leur déjeuner ? Le communiqué de presse précise « pendant les quarts de travail », mais Amazon n’a pas répondu à la question.
La vidéo suivante présente le concept de l’AmaZen ; on constate que le box comporte un petit ventilateur et quelques plantes vertes, ainsi qu’un ordinateur où l’employé peut visionner des vidéos apaisantes « pour recharger ses batteries », comme l’explique sa créatrice, Leila Brown :