C’est un nouveau record du monde : la Chine a maintenu la température de son réacteur à fusion, l’Experimental Advanced Superconducting Tokamak (EAST), à 120 millions de degrés Celsius pendant 101 secondes ! Le réacteur a par ailleurs atteint une température de 160 millions de degrés Celsius pendant 20 secondes. À titre de comparaison, la température au cœur du Soleil est évaluée à 15 millions de degrés « seulement »…
Pour rappel, un tokamak est un dispositif expérimental reposant sur la physique des plasmas, dont le but est de produire de l’énergie de fusion : l’énergie générée par la fusion des noyaux atomiques est absorbée sous forme de chaleur par les parois de la chambre à vide. Cette chaleur est ensuite utilisée pour produire de la vapeur, qui par un système de turbines et d’alternateurs peut à son tour produire de l’électricité. Quelques tokamaks d’expérimentation sont aujourd’hui opérationnels dans le monde.
L’Experimental Advanced Superconducting Tokamak (EAST) est en service depuis 2006 ; il se trouve à l’Institut de physique de Hefei, en Chine. En 2018, il avait déjà atteint une température de 100 millions de degrés, pendant une centaine de secondes. Ce nouveau record est l’occasion de souligner à nouveau les incroyables capacités de l’engin, conçu pour reproduire les processus de fusion nucléaire qui ont lieu au cœur des étoiles.
Vers la production d’une énergie propre et illimitée
La fusion nucléaire repose sur la fusion de deux atomes légers (deux isotopes de l’hydrogène) en un atome plus lourd (l’hélium) ; le défaut de masse provoqué par la réaction est comblé par la formation d’une grande quantité d’énergie (selon la réaction E = mc2). Le processus nécessite que les atomes soient exempts de leurs électrons ; on obtient alors un plasma, dont la température doit être suffisamment élevée (supérieure à 100 millions de degrés Celsius) pour que la fusion se produise.
Si la fusion nucléaire contrôlée fait l’objet de nombreuses expérimentations dans le monde entier, c’est parce que le processus permettrait de bénéficier d’une énergie « propre » (sans émission de gaz à effet de serre) et illimitée (les combustibles utilisés pour la fusion, du deutérium et du tritium, sont quasiment inépuisables). En outre, cela ne produirait aucun déchet radioactif de haute activité à vie longue, à l’inverse des centrales à fission nucléaire actuelles. Enfin, à masse égale, la fusion d’atomes libère une énergie près de quatre millions de fois supérieure à celle produite par les combustibles fossiles !
Ce nouveau record de l’EAST — baptisé « Soleil artificiel » — est donc particulièrement important pour la Chine, qui ambitionne de réduire progressivement ses émissions carbone jusqu’à la neutralité, à l’horizon 2060. Pour Lin Boqiang, Directeur du Centre chinois de recherche sur l’économie de l’énergie de l’Université de Xiamen, la fusion nucléaire représente tout simplement l’avenir de l’énergie propre. Cependant, ce réacteur, comme les autres tokamaks existants, n’en est qu’au stade expérimental et Boqiang estime qu’il faudra sans doute plusieurs décennies avant qu’un tel réacteur puisse être exploité pour couvrir nos besoins énergétiques.
Pour qu’il soit pleinement exploitable à l’échelle industrielle, il faut en effet réussir à contrôler le processus de manière stable et pérenne : « La percée est un progrès significatif, et l’objectif ultime devrait être de maintenir la température à un niveau stable pendant une longue période », a déclaré Li Miao, Directeur du département de physique de l’Université méridionale des sciences et des technologies de Shenzhen. Une fois totalement maîtrisée, cette technologie pourrait complètement révolutionner le secteur de l’énergie. En théorie, si un tel réacteur voyait le jour, il pourrait produire la même quantité d’énergie que les réacteurs à fission — soit entre 1 et 1,7 gigawatt — mais de manière plus sécurisée et plus propre.
Un succès important pour le projet ITER
À noter que la Chine est membre du consortium ITER (International thermonuclear experimental reactor ou réacteur expérimental thermonucléaire international), un projet international de réacteur mené par la Chine, l’Union européenne, l’Inde, le Japon, la Corée du Sud, la Russie et les États-Unis, qui vise à l’industrialisation de la fusion nucléaire. Ce récent succès de l’EAST, qui fait en quelque sorte office de banc d’essai, est donc une étape importante pour ce projet de plus grande envergure.
Installé en France, près de Cadarache, le réacteur ITER mesurera environ 29 mètres de haut pour 28 mètres de diamètre, ce qui en fera le plus grand tokamak jamais conçu ; il offrira ainsi un volume de plasma près de dix fois supérieur à celui du plus grand réacteur à fusion disponible aujourd’hui. Or, plus le volume de plasma est élevé, plus important sera le potentiel de production d’énergie de fusion. La mise en service de ce réacteur hors norme est prévue pour décembre 2025.
L’objectif annoncé par le projet ITER est de produire 500 MW de puissance pendant 400 secondes. Un autre objectif majeur de cette installation sera de démontrer la faisabilité de la production de tritium au sein même de l’enceinte à vide du réacteur. En effet, si le deutérium — autre réactif de la fusion — peut être obtenu à partir de l’eau, le tritium est relativement rare à l’état naturel ; il sera donc nécessaire d’en produire pour couvrir les besoins des futures centrales. C’est d’ailleurs ce qui conditionnera le passage à l’industrialisation de la fusion nucléaire.