Autour de l’horizon des événements d’un trou noir rotatif, se trouve une zone également en rotation appelée l’ergosphère. En 1969, le physicien Roger Penrose avance la possibilité d’extraire de l’énergie à partir de cette zone. Au cours des deux dernières décennies, plusieurs études ont montré que l’extraction d’énergie à partir de l’ergosphère d’un trou noir était possible. Et récemment, une équipe d’astrophysiciens pourrait avoir observé la première preuve observationnelle d’un tel phénomène.
Les trous noirs en rotation génèrent de grandes quantités d’énergie, qui, en théorie, peuvent être extraites de l’ergosphère, une région située juste à l’extérieur de l’horizon des événements. Cela a été démontré à la fois théoriquement et expérimentalement. Et une équipe d’astrophysiciens pourrait en avoir trouvé une preuve observationnelle. L’indice en question est le sursaut gamma le plus puissant que nous ayons jamais détecté, GRB 190114C, une éruption d’environ un billion (million de millions) d’électrons-volts (1 TeV), qui a eu lieu à 4.5 milliards d’années-lumière.
« Les sursauts gamma, les objets transitoires les plus puissants du ciel, libèrent des énergies allant jusqu’à 1054 erg en quelques secondes. Leur luminosité dans l’intervalle de temps de l’événement est aussi grande que la luminosité de toutes les étoiles de l’Univers observable ! On a pensé que les sursauts gamma étaient alimentés, via un mécanisme inconnu, par des trous noirs de masse stellaire », indique l’astrophysicien Remo Ruffini du Réseau international du Centre pour l’astrophysique relativiste (ICRANet).
Sursaut gamma : de l’énergie extraite de l’ergosphère ?
L’année dernière, Ruffini et ses collègues ont proposé une solution pour ce mécanisme ; un processus qu’ils ont appelé « hypernova binaire ». Cela commence par un système binaire proche constitué d’une étoile carbone-oxygène en fin de vie et d’une étoile à neutrons. Lorsque l’étoile carbone-oxygène devient supernova, le matériau éjecté peut être rapidement aspiré par l’étoile à neutrons compagnon. Ainsi, ce compagnon passe le point de masse critique et s’effondre en un trou noir, qui éjecte une rafale de rayons gamma, ainsi que des jets de matière depuis ses pôles à une vitesse proche de la lumière.
Ruffini et ses collègues de l’ICRANet ont décrit le mécanisme qui peut produire un tel sursaut gamma à haute énergie : l’accélération de particules le long des lignes de champ magnétique héritées de l’étoile à neutrons progénitrice du trou noir. Ce champ magnétique extrait l’énergie de rotation de l’ergosphère du trou noir.
« Le nouveau processus présenté dans la publication s’explique via un mécanisme gravito-électrodynamique purement relativiste : un trou noir rotatif, interagissant avec un champ magnétique environnant, crée un champ électrique qui accélère les électrons ambiants pour des énergies ultra-élevées conduisant à des rayonnements à haute énergie et à des rayons cosmiques à très haute énergie », explique Ruffini.
Le rôle clé des champs magnétiques
Les jets relativistes ne sont pas rares dans les noyaux galactiques actifs. On pense que ces jets se forment à partir du processus d’accrétion, qui se déroule comme suit : un énorme disque de matériau tourbillonne autour du trou noir actif, la matière chutant vers le trou noir. Certains des matériaux du disque, selon les astronomes, sont canalisés et accélérés le long des lignes de champ magnétique autour de l’extérieur du trou noir jusqu’aux pôles, où ils sont éjectés dans l’espace sous la forme de jets collimatés.
Les chercheurs savent que les trous noirs et les étoiles à neutrons peuvent produire de puissants champs magnétiques, et les preuves suggèrent qu’ils peuvent agir comme un synchrotron (un type d’accélérateur de particules). Les preuves suggèrent également qu’un champ magnétique synchrotron joue un rôle dans l’éjection d’un sursaut gamma lors de la formation d’un trou noir. En étudiant GRB 190114C, Moradi et son équipe ont trouvé un mécanisme similaire — mais, plutôt qu’un processus d’émission continu, il est discret, se répétant encore et encore, libérant à chaque fois un quantum d’énergie du trou noir pour produire l’émission de rayons gamma observée après le sursaut gamma.
De la supernova au sursaut gamma
Sur la base des observations de GRB 190114C, l’équipe a pu reconstituer la séquence des événements. L’étoile carbone-oxygène devient une supernova, tandis que le noyau s’effondre en une étoile à neutrons ; une partie de ce matériau éjecté retombe sur l’étoile à neutrons nouvellement formée, produisant une émission de rayons X — comme observé par le télescope Swift. Une partie du matériau tombe également sur l’étoile à neutrons, la poussant au-delà de la limite critique pour former un trou noir — ce processus aurait été fluide, ne prenant que 1.99 seconde.
Ensuite, le matériau continue de tomber dans le trou noir nouvellement formé, produisant un sursaut gamma de 1.99 à 3.99 secondes. Enfin, de la matière supplémentaire tombant dans le trou noir entraîne la formation de jets et de rayonnement gamma dans la gamme des gigaélectronvolts, à partir de l’extraction de l’énergie de rotation.
Une hypothèse considérée comme solide
D’autres chercheurs pourraient être en désaccord avec les résultats ; par exemple, l’année dernière, une équipe a découvert que le sursaut gamma était le résultat d’un champ magnétique qui s’effondrait. Cela peut même ne pas s’appliquer à tous les sursauts gamma. Néanmoins, toutes les pièces de l’hypothèse actuelle semblent correspondre parfaitement aux observations de GRB 190114C.
« La preuve que nous pouvons utiliser l’énergie de rotation extractible d’un trou noir pour expliquer les émissions à haute énergie des sursauts gamma et des noyaux galactiques actifs est claire. Une longue marche de progrès théoriques successifs et de nouvelles physiques découvertes à partir d’observations de sursauts gamma a conduit à ce résultat attendu depuis environ 50 ans d’astrophysique relativiste », conclut Ruffini.