Une équipe de chercheurs s’est intéressée à la nature et à la dynamique des micro-organismes en milieu urbain. Ils ont donc prélevé plusieurs échantillons dans les réseaux de transport en commun de 60 villes du monde, afin d’établir une carte métagénomique de l’écosystème microbien urbain. Il s’avère que chaque ville héberge un ensemble d’espèces microbiennes qui lui est propre, et que certaines abritent des espèces plus résistantes que d’autres.
Aujourd’hui, 55% de la population mondiale vit en zone urbaine. Les populations microbiennes des zones rurales et des zones urbaines sont très différentes et les microbes des villes ont un impact certain sur la santé humaine ; certains syndromes, notamment les allergies, sont par exemple associés à une urbanisation croissante. Établir une « carte moléculaire » des environnements urbains peut contribuer à mieux comprendre l’impact des microbiomes urbains sur la santé.
Par ailleurs, il est urgent d’obtenir des données sur les gènes de la résistance aux antimicrobiens dans les pays en développement, où la consommation de médicaments antimicrobiens (antibiotiques, antiviraux, antifongiques et antiparasitaires), tant dans l’élevage que pour la santé humaine, devrait augmenter de 67% d’ici 2030. Pour l’Organisation mondiale de la santé, ce phénomène de résistance constitue aujourd’hui l’une des dix plus grandes menaces pour la santé publique.
Près de 11 000 virus et 1300 bactéries nouvellement identifiés
Dans ce contexte, un consortium international de métagénomique des biomes urbains (MetaSUB) a été lancé en 2015 ; l’objectif du projet étant de combler ce manque de connaissances sur la densité, les types et la dynamique des métagénomes urbains et des profils de résistance aux antimicrobiens. Depuis sa mise en œuvre, le projet ne cesse de croître et implique désormais la collecte d’échantillons d’ARN et d’ADN dans l’air, l’eau et les eaux usées, en plus des surfaces dures.
Ce type de recherche a des implications importantes pour la détection des flambées d’infections connues et inconnues et pour le suivi de la prévalence des microbes résistants aux antibiotiques dans les environnements urbains. Dans le cadre de cette nouvelle étude, les chercheurs ont recueilli plus de 4700 échantillons, dans les transports en commun de 60 villes du monde entier, sur une période de trois ans. Les transports urbains sont en effet une interface de contact quotidien pour des milliards de citadins : « Chaque fois que vous vous asseyez dans le métro, vous vous déplacez probablement avec une espèce entièrement nouvelle », explique le Dr Christopher Mason, fondateur de MetaSUB et auteur principal de l’étude.
Les chercheurs se sont tout d’abord intéressés à la distribution des espèces microbiennes ; ils ont ainsi distingué deux ensembles distincts de taxons : un ensemble appelé « sous-noyau » constitué d’espèces microbiennes systématiquement observées dans plus de 70% des échantillons, et un ensemble comprenant des espèces moins communes (présentes dans moins de 25% des échantillons). Ils ont également défini un ensemble de taxons « de base », que l’on retrouve dans pratiquement tous les échantillons et qui constituent un noyau central commun.
Au total, ils ont identifié 31 espèces dans le microbiome central, 1145 espèces microbiennes dans le sous-noyau (principalement des bactéries), 2 466 espèces périphériques moins courantes et 4 424 autres espèces dans l’ensemble des échantillons. Les trois phylums bactériens les plus courants dans les villes du monde, classés en fonction du nombre d’espèces observées, étaient les protéobactéries, les actinobactéries et les firmicutes. Le séquençage génomique réalisé a également permis de découvrir un nombre impressionnant d’espèces microbiennes inconnues jusqu’alors : 10 928 virus, 1302 bactéries, 2 archées et 838 532 extraits d’ADN viral qui ne se trouvaient pas dans les bases de données de référence.
Des empreintes microbiennes uniques
Les chercheurs ont par ailleurs pu cartographier certains gènes connus pour être associés à la capacité de résistance aux antimicrobiens ; ils ont quantifié leur abondance et confirmé la capacité des marqueurs génétiques à conférer cette résistance. Ils ont ainsi constaté que certaines villes hébergeaient plus de gènes de résistance que d’autres dans leurs populations microbiennes et qu’il pouvait y avoir des signatures spécifiques à la ville pour certains de ces gènes.
Détail amusant : selon le Dr Mason, cette cartographie inédite des espèces microbiennes urbaines permet de déterminer avec une précision d’environ 90% où réside une personne en séquençant l’ADN se trouvant sur ses chaussures ! En effet, cette étude a permis de mettre en évidence plusieurs facteurs influençant le microbiome d’une ville : densité de population, altitude, climat, proximité de l’océan, etc. Ainsi, « un microbiome contient des échos moléculaires de l’endroit où il a été collecté », résume le Dr David Danko, co-auteur de l’étude. Ces empreintes microbiennes distinctes pourraient par exemple être d’un grand intérêt dans le cadre d’expertises médico-légales.
Les chercheurs espèrent à présent découvrir de nouvelles façons d’identifier de potentielles menaces pour la santé humaine. Une meilleure connaissance des petites molécules et protéines fabriquées par les microbes pourrait en outre conduire au développement de nouveaux antibiotiques ou autres médicaments permettant de traiter les infections. « Les gens pensent souvent qu’une forêt tropicale est une richesse de biodiversité et de nouvelles molécules pour les thérapies, mais il en va de même pour une rampe ou un banc de métro », souligne le Dr Mason.