Au moyen de simulations informatiques, des chercheurs ont découvert que le noyau de notre planète, essentiellement constitué de fer, se développe de façon asymétrique : la formation des nouveaux cristaux de fer est plus rapide d’un côté que de l’autre. Le phénomène pourrait notamment expliquer l’anisotropie sismique, soit la différence de vitesse de propagation des ondes sismiques à travers le noyau selon leur trajectoire. Mais il pourrait aussi influer sur la force du champ magnétique terrestre.
Le noyau de la Terre se compose d’une « graine » solide (le noyau interne), qui résulte de la cristallisation progressive du noyau externe liquide ; tous deux sont séparés par une frontière nommée « discontinuité de Lehmann ». Le noyau contient principalement du fer, et un peu de nickel.
Ce sont les mouvements de convection rapide du noyau externe qui sont à l’origine du champ magnétique terrestre : la roche chaude en fusion monte vers la surface, tandis que les matériaux plus froids se dirigent vers le bas. Ces mouvements de fer liquide évacuent au passage la chaleur issue du noyau interne, ce qui conduit à la cristallisation du métal ; ainsi, en moyenne, le rayon du noyau interne augmente uniformément d’environ un millimètre chaque année.
Une croissance plus rapide à l’est
Lorsque les ondes sismiques traversent le noyau interne, il se trouve qu’elles sont beaucoup plus rapides lorsqu’elles se déplacent le long de l’axe nord-sud, que lorsqu’elles se déplacent sur le plan équatorial. Les scientifiques n’ont jusqu’à présent jamais trouvé d’explication à ce phénomène, appelé anisotropie sismique. Une nouvelle étude menée par des planétologues suggère que le développement asymétrique du noyau pourrait en être la cause.
En effectuant plusieurs simulations de la croissance du noyau interne, les chercheurs ont en effet conclu que le fer cristallise plus rapidement du côté est — soit sous l’Indonésie — que du côté ouest — soit sous le Brésil et ce, depuis qu’il a commencé à se solidifier il y a plus d’un demi-milliard d’années. « Le noyau externe a reçu plus de chaleur du côté est qu’à l’ouest », explique Daniel Frost, sismologue à l’Université de Californie à Berkeley et auteur principal de l’étude. En d’autres termes, le noyau interne s’est refroidi plus vite du côté est, produisant davantage de fer.
Néanmoins, le spécialiste précise que cela ne signifie pas que le noyau est en train de se déformer, car comme très souvent, la nature fait bien les choses : la « surproduction » de fer à l’est est compensée par la gravité, qui tend à distribuer uniformément les nouveaux cristaux de fer, vers l’ouest ; la forme sphérique du noyau est ainsi préservée. Arrivés au niveau de l’axe nord-sud, les cristaux s’agglutinent le long de cet axe vertical. Selon les chercheurs, c’est cet empilement de structures cristallines qui permettrait aux ondes sismiques de se propager plus rapidement du nord au sud.
Un impact possible sur le champ magnétique
Le modèle proposé par Frost et son équipe permet également de préciser la proportion de nickel par rapport au fer dans le noyau : en effet, ce modèle ne reproduit pas avec précision les observations sismiques à moins que le nickel ne représente entre 4 et 8% du noyau interne, ce qui est proche de la proportion des météorites métalliques qui étaient autrefois vraisemblablement les noyaux des planètes naines de notre système solaire, soulignent les chercheurs.
Reste à déterminer pourquoi la cristallisation du fer se fait plus rapide à l’est qu’à l’ouest. Quelque chose dans le noyau externe ou le manteau de la Terre, sous l’Indonésie, élimine la chaleur du noyau interne à un rythme plus rapide que de l’autre côté, sous le Brésil. Pour élucider ce mystère, il est nécessaire d’étudier les autres « couches » de la planète, car comme l’explique Frost, chacune est contrôlée par ce qui se trouve au-dessus d’elle et influence la couche inférieure : « Le noyau interne gèle lentement à partir du noyau externe liquide, comme une boule de neige à laquelle on ajouterait de nouvelles couches. Le noyau externe est ensuite refroidi par le manteau au-dessus de lui ».
Ainsi, comprendre pourquoi le noyau se développe plus rapidement d’un côté revient à déterminer pourquoi le manteau est plus froid d’un côté. Les plaques tectoniques pourraient bien être à l’origine du phénomène. En effet, lorsqu’elles plongent sous la surface terrestre au niveau des zones de subduction — là où une plaque océanique plonge sous une autre plaque et s’enfonce dans le manteau terrestre — elles refroidissent le manteau. Mais les scientifiques tentent encore de déterminer si oui ou non le refroidissement du manteau peut réellement influer sur le noyau interne.
Quant à savoir si le développement asymétrique du noyau interne peut avoir un impact sur le champ magnétique, la question mérite davantage de recherches. Néanmoins, étant donné que le champ magnétique résulte des mouvements de convection du fer liquide du noyau externe et que ces mouvements sont alimentés par la chaleur issue du noyau interne, il est logique de penser que si ce dernier perd davantage de chaleur à l’est, les mouvements de fer du noyau externe seront également plus importants à l’est. Par conséquent, le champ magnétique est susceptible d’être plus intense d’un côté que de l’autre. Une hypothèse sur laquelle Frost et ses collègues travaillent déjà, à l’aide d’une équipe de géomagnéticiens.