C’est lors de l’analyse d’images satellites commerciales que des chercheurs du James Martin Center for Nonproliferation Studies, à Monterey, ont découvert le site : près de 120 silos pour missiles balistiques sont en cours de construction dans un désert près de la ville de Yumen, au nord-ouest du pays. Les experts craignent que la Chine ne soit en train de développer massivement son arsenal nucléaire.
Le James Martin Center for Nonproliferation Studies est une ONG basée en Californie dédiée à la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive (chimiques et biologiques). Dans le cadre de ses recherches, l’organisme s’appuie sur diverses méthodes et technologies, comme l’analyse d’images, la modélisation 3D et d’autres outils analytiques avancés. L’un de ses programmes de recherche est focalisé sur l’Asie de l’Est.
Les dernières images satellites obtenues par les chercheurs ont révélé que des travaux sont vraisemblablement en cours sur une zone désertique couvrant des centaines de kilomètres carrés, dans la province chinoise de Gansu. Cette zone comporte plus d’une centaine de sites en construction, tous identiques, et dont les caractéristiques sont très similaires aux installations de lancement de missiles existantes.
Une expansion rapide et massive
L’annonce survient après que les responsables du Pentagone ont récemment averti des progrès rapides de la capacité nucléaire de la Chine. En avril, lors d’une audience au Congrès, l’amiral Charles Richard, qui commande les forces nucléaires américaines, a déclaré qu’une « expansion à couper le souffle » était en cours en Chine, comprenant un nombre croissant de missiles balistiques intercontinentaux (ICBM) et de nouveaux lanceurs de missiles mobiles qui peuvent être facilement cachés des satellites. L’officier avait également évoqué les nouveaux sous-marins dotés d’armes nucléaires de la marine chinoise.
Ce réseau de silos nouvellement découvert pourrait signifier que la Chine s’est récemment dotée d’une grosse quantité de missiles balistiques intercontinentaux, portant le nombre de ses armes nucléaires entre 250 et 350 — le nombre exact de nouveaux missiles reste difficile à déterminer. Les experts estiment néanmoins que son stock d’armes de destruction massive pourrait être plus restreint ; en effet, il est déjà arrivé par le passé que la Chine utilise des silos vides en tant que leurres.
Jeffrey Lewis, directeur du programme de non-prolifération en Asie de l’Est au centre d’études et expert de l’arsenal nucléaire chinois, a toutefois qualifié l’ampleur des travaux mis en œuvre comme « incroyable ». Chaque site est séparé de ses voisins d’environ trois kilomètres, et plusieurs sont dissimulés par une sorte de dôme — une pratique déjà observée ailleurs en Chine, sur des sites de construction connus de silos à missiles. Sur les sites non dissimulés, les enquêteurs ont repéré des équipes en train de creuser une fosse de forme circulaire caractéristique. Ils ont également repéré un autre chantier de construction, qui semble correspondre à un centre de contrôle.
Une stratégie de dissuasion
Les silos en question sont probablement destinés à abriter des missiles balistiques intercontinentaux de type DF-41 selon les experts. Ce type de missile peut transporter plusieurs ogives et possède une portée d’environ 15 000 kilomètres — ce qui signifie que les États-Unis peuvent être une cible potentielle.
« Si les silos en construction sur d’autres sites en Chine sont ajoutés au décompte, le total s’élève à environ 145 silos en construction », a déclaré Lewis au Washington Post. Un arsenal qui demeure toutefois bien en deçà de celui des États-Unis et de la Russie, qui à eux deux, comptabilisent plus de 11 000 ogives nucléaires selon le journal américain. Les silos chinois sont facilement repérables par des analystes d’imagerie satellite et sont donc relativement vulnérables. C’est pourquoi, d’après Lewis, il s’agit essentiellement d’une stratégie de dissuasion. La Chine veut renforcer sa crédibilité en matière d’arsenal nucléaire et veut montrer qu’elle est prête à riposter en cas de frappe américaine.
Lewis souligne par ailleurs que d’après l’analyse des photos satellites, il est fort probable que la Chine ne dissimule qu’un nombre relativement limité d’ogives dans ce large réseau de silos — une méthode que les États-Unis avaient également mise en place pendant la Guerre Froide : ils déplaçaient régulièrement leurs ogives à travers leur réseau de silos de manière à ce que l’ennemi ne puisse jamais savoir où elles se trouvaient précisément.
Finalement, cette escalade nucléaire est largement motivée par les investissements américains et la défense antimissile : le Pentagone a récemment annoncé une mise à niveau étendue des armes nucléaires et des systèmes de lancement américains au cours des deux prochaines décennies. Les e-mails et fax sollicitant des commentaires du ministère chinois des Affaires étrangères à Pékin et de l’ambassade de Chine à Washington sont demeurés sans réponse. Mais le gouvernement américain a déclaré jeudi que la montée en puissance rapide des forces nucléaires chinoises était « préoccupante » et a appelé Pékin à s’engager conjointement « sur des mesures pratiques pour réduire les risques de courses aux armes déstabilisantes ».