Certains d’entre vous se souviennent peut-être de l’interdiction des pesticides chlorpyrifos dans l’Union européenne, annoncée en 2019 et entrée en vigueur l’année dernière, après des décennies d’utilisation. Cependant, moins nombreux sont ceux étant au courant des répercussions dévastatrices que ces composés peuvent avoir sur la santé, notamment sur le développement cérébral des enfants exposés. Lundi dernier, des poursuites ont été déposées en Californie, visant à obtenir des dommages-intérêts collectifs de la part de Dow Chemical et de la société qui lui a succédé au sujet de cet insecticide largement utilisé, lié à des lésions cérébrales chez les enfants.
En Californie, tout comme dans d’autres pays à travers le monde, l’utilisation des chlorpyrifos (chlorpyrifos et chlorpyrifos-méthyl) est toujours autorisée sur plus de 80 cultures, dont les oranges, les baies, les raisins, le soja, les amandes et les noix, bien que le pays ait interdit la vente du pesticide l’année dernière et sa pulvérisation cette année.
L’avocat principal de cette affaire, Stuart Calwell, a fait valoir que leurs effets persistent dans les communautés agricoles contaminées pendant des décennies d’utilisation, avec des niveaux mesurables encore trouvés dans les maisons de ses clients. Les avocats prévoient qu’au moins 100 000 foyers du plus grand État agricole du pays pourraient devoir se débarrasser de la plupart de leurs biens, parce qu’ils sont contaminés par le pesticide.
Cette affaire rappelle celle de l’impact des pesticides sur les agriculteurs français, dont la révolte de certains et la récolte de preuves des effets secondaires a permis d’obtenir un dédommagement de la part de Monsanto, bien que ce dédommagement ne puisse pas compenser l’impact dévastateur des produits sur la santé des plaignants, incluant maladies neurologiques et cancers. Ces cas ont d’ailleurs été mis sur le devant de la scène par le courageux documentaire d’Éric Guéret, « La Mort est dans le pré ».
Des traces partout dans les maisons, y compris sur les objets
« Nous en avons trouvé dans les maisons, nous en avons trouvé dans les tapis, dans les meubles rembourrés, nous en avons trouvé dans un ours en peluche, et nous en avons trouvé sur les murs et les surfaces », a déclaré Calwell. « Alors qu’un petit enfant prend un ours en peluche et s’y accroche, le mordille, etc. ». Tout cela doit être nettoyé, dit-il, car « ça ne va pas disparaître tout seul ». Les dossiers de l’État montrent que 28 millions de kilogrammes de ce pesticide ont été appliqués de 1974 à 2017 dans quatre comtés où les poursuites ont été déposées.
Les responsables de Dow Chemical et de sa filiale Corteva Inc. n’ont pas répondu immédiatement aux demandes de commentaires. Corteva a cessé de produire le pesticide l’année dernière. La société, basée dans le Delaware, a été créée après la fusion de Dow Chemical et de Dupont et était le plus grand fabricant de chlorpyrifos au monde. L’entreprise a déclaré qu’elle « pensait » que le produit était sûr et qu’elle avait arrêté la production en raison de la baisse des ventes.
Outre les entreprises liées à Dow, les plaignants citent diverses entreprises agricoles qui, selon eux, ont appliqué le produit chimique près des habitations. Dans chaque cas, les plaignants sont des parents qui intentent un procès au nom d’enfants souffrant de graves lésions neurologiques qu’ils attribuent à leur exposition au produit chimique lorsqu’ils étaient dans l’utérus ou lorsqu’ils étaient très jeunes.
Un impact direct sur le cerveau
Des études scientifiques ont montré que le chlorpyrifos endommage le cerveau des fœtus et des enfants. Il a été utilisé pour la première fois en 1965, mais son usage domestique a été interdit en 2001. La Cour d’appel des États-Unis pour le neuvième circuit a ordonné en avril à l’EPA de prendre une décision après avoir étudié le produit pendant plus de dix ans. L’administration Trump avait alors interrompu le processus d’élaboration des règles…
Outre les pulvérisations à proximité des habitations, ce sont les proches ou d’autres personnes en contact fréquent avec les enfants atteints qui, en travaillant dans les champs ou les usines de conditionnement, ont été contaminés par le produit chimique qu’ils ont ensuite transmis aux enfants.
Des effets nocifs qui se feront ressentir durant encore des décennies
L’automne dernier, Calwell a intenté des procès connexes au nom d’ouvriers agricoles qui, selon son cabinet, ont « mariné pendant des années dans le pesticide ». La première de ces actions en justice accuse le chlorpyrifos d’avoir provoqué l’autisme et des déficiences cognitives et intellectuelles chez un adolescent né en 2003.
Le père de l’adolescent travaillait à la pulvérisation de pesticides dans des champs agricoles et sa mère emballait des produits recouverts de chlorpyrifos dans un établissement entouré de champs traités avec ce pesticide, souvent appliqué par pulvérisation aérienne.
Calwell a également poursuivi Monsanto pour les dommages qu’elle aurait causés aux habitations de Nitro, en Virginie occidentale, en utilisant de la dioxine pour fabriquer le défoliant connu sous le nom « d’agent orange » pendant la guerre du Vietnam. Cette affaire a été réglée pour 93 millions de dollars, Monsanto ayant financé la décontamination de 4500 maisons, une fraction de celles qui, selon Calwell, en Californie, nécessiteront une décontamination plus importante ainsi qu’un suivi médical.
Ailleurs dans le monde, la situation est fort probablement similaire dans les régions agricoles, et ce sans forcément impliquer ce pesticide en particulier. Heureusement, l’Union européenne a pris des mesures drastiques après que les preuves scientifiques de la nocivité des chlorpyrifos ont été publiées. Cependant, l’exposition à cette substance ayant été plus ou moins importante jusqu’en 2020, les effets de sa nocivité se feront certainement ressentir encore durant des années, voire des décennies.