Considérée comme la principale source d’énergie du futur, l’énergie nucléaire est utilisée dans de nombreux pays sous forme de fission nucléaire. Pour ce faire, les réacteurs actuels nécessitent de l’uranium-235 fissile qui produit à son tour des déchets radioactifs devant ensuite être traités. Récemment, la Chine a révélé les plans du premier réacteur nucléaire expérimental à sel fondu utilisant du thorium liquide, dont la construction doit s’achever d’ici un mois, et envisage une commercialisation du réacteur pour 2030.
Le réacteur nucléaire à sel fondu, qui fonctionne au thorium liquide plutôt qu’à l’uranium, devrait être plus sûr que les réacteurs traditionnels, car le sel fondu se refroidit et se solidifie rapidement lorsqu’il est exposé à l’air, isolant le thorium, de sorte que toute fuite potentielle éjecterait beaucoup moins de rayonnement dans le milieu environnant par rapport aux fuites des réacteurs traditionnels. Le réacteur prototype devrait être achevé le mois prochain, les premiers tests commençant dès septembre. Cela ouvrira la voie à la construction du premier réacteur commercial, dont la réalisation est prévue d’ici 2030.
Ce type de réacteur ne nécessitant pas d’eau, il pourra fonctionner dans des régions désertiques. L’emplacement du premier réacteur commercial sera dans la ville désertique de Wuwei, et le gouvernement chinois a l’intention d’en construire davantage dans les déserts et les plaines peu peuplés de l’ouest de la Chine, ainsi que jusqu’à 30 dans les pays impliqués dans la « Belt and Road » — un programme d’investissement mondial qui verra la Chine investir dans les infrastructures de 70 pays.
Les représentants du gouvernement chinois considèrent les exportations d’énergie nucléaire comme un élément clé de ce programme. « Exporter l’énergie nucléaire est déjà devenu une stratégie d’État, et les exportations nucléaires aideront à optimiser notre commerce d’exportation et à libérer des capacités de fabrication nationales haut de gamme », déclare Wang Shoujun, membre du comité permanent de la Conférence consultative politique du peuple chinois ( CCPPC) — un organe consultatif politique qui agit comme un lien entre le gouvernement chinois et les intérêts commerciaux.
Le thorium : une meilleure option que l’uranium-235
Le thorium — un métal radioactif argenté nommé d’après le dieu nordique du tonnerre — est beaucoup moins cher et plus abondant que l’uranium, et ne peut pas facilement être utilisé pour créer des armes nucléaires. Le nouveau réacteur fait partie de la volonté du président chinois Xi Jinping de rendre la Chine neutre en carbone d’ici 2060, selon l’équipe de l’Institut de physique appliquée de Shanghai, qui a développé le prototype. La Chine contribue actuellement à 27 % du total des émissions mondiales de carbone, la plus grande quantité de n’importe quel pays et plus que l’ensemble des autres pays développés réunis, selon un rapport de 2019 du groupe américain Rhodium.
« Les réacteurs à petite échelle présentent des avantages significatifs en matière d’efficacité, de flexibilité et d’économie. Ils peuvent jouer un rôle clé dans la future transition vers une énergie propre. On s’attend à ce que les réacteurs à petite échelle soient largement déployés dans les prochaines années », écrivent Yan Rui, professeur de physique à l’Institut de physique appliquée de Shanghai et ses collègues dans un article publié dans la revue Nuclear Techniques.
Au lieu d’utiliser des barres de combustible, les réacteurs à sel fondu fonctionnent en dissolvant le thorium dans du sel de fluorure liquide avant de l’envoyer dans la chambre du réacteur à des températures supérieures à 600 degrés Celsius. Lorsqu’ils sont bombardés de neutrons de haute énergie, les atomes de thorium se transforment en uranium-233, un isotope de l’uranium qui peut ensuite se diviser, libérant de l’énergie et encore plus de neutrons grâce à un processus appelé fission nucléaire.
Cela déclenche une réaction en chaîne, libérant de la chaleur dans le mélange thorium-sel, qui est ensuite envoyé à travers une deuxième chambre où l’excès d’énergie est extrait et transformé en électricité. Les réacteurs au thorium ont depuis longtemps un attrait insaisissable pour les physiciens nucléaires.
Un problème de déchets bien moins important
Situé à seulement deux positions à gauche de l’uranium sur le tableau périodique des éléments chimiques, presque tout le thorium extrait est du thorium-232 — l’isotope utilisé dans les réactions nucléaires.
En revanche, seulement 0.72 % du total de l’uranium extrait est l’uranium 235 fissile utilisé dans les réacteurs nucléaires traditionnels. Cela fait du thorium une source d’énergie beaucoup plus abondante. Les avantages du thorium ne s’arrêtent pas là. Les déchets des réactions nucléaires de l’uranium-235 restent hautement radioactifs jusqu’à 10 000 ans et comprennent le plutonium-239, l’ingrédient clé des armes nucléaires.
Les déchets nucléaires traditionnels doivent être stockés dans des conteneurs en plomb, isolés dans des installations sécurisées, et soumis à des contrôles rigoureux pour s’assurer qu’ils ne tombent pas entre de mauvaises mains. En revanche, les principaux sous-produits d’une réaction nucléaire du thorium sont l’uranium-233, qui peut être recyclé dans d’autres réactions, et un certain nombre d’autres sous-produits ayant une « demi-vie » moyenne (le temps qu’il faut pour que la moitié des atomes radioactifs d’une substance se désintègre à un état non radioactif) de seulement 500 ans.
Un réacteur commercial prévu pour atteindre 100 MW
Après les tests du prototype de 2 mégawatts en septembre, la Chine envisage de construire son premier réacteur commercial au thorium. Mesurant seulement 3 mètres de haut et 2.5 m de large, les chercheurs affirment qu’il sera capable de générer 100 mégawatts d’électricité, suffisamment pour subvenir aux besoins de 100 000 personnes. Pourtant, il doit être associé à d’autres équipements, comme des turbines à vapeur, pour produire de l’électricité utilisable.
Le concept de réacteur à sel fondu a été proposé pour la première fois en 1946 dans le cadre d’un plan du prédécesseur de l’US Air Force visant à créer un jet supersonique à propulsion nucléaire. Cependant, l’expérience et les nombreuses autres qui ont suivi — y compris un réacteur expérimental au Oak Ridge National Laboratory dans le Tennessee, qui a fonctionné pendant de nombreuses années — ont rencontré des problèmes.
La corrosion causée par les canalisations fissurées par le sel chaud et la faible radioactivité du thorium rendaient très difficile le développement des réactions de fission à des niveaux durables sans ajout d’uranium. Les investigations sur le thorium s’arrêtèrent. On ne sait pas encore comment, soixante ans plus tard, les chercheurs chinois ont résolu ces problèmes techniques.
Pour approfondir : Tchernobyl : Le mensonge français
Le 26 avril 1986, après l’explosion du réacteur n°4 de la centrale de Tchernobyl, un nuage radioactif hautement toxique se déplace vers l’ouest de l’Europe. Le 1er mai, il recouvre les trois quarts du territoire français. Alors que différents pays européens prennent des mesures exceptionnelles pour protéger leur population, la France va persister dans la sous-estimation des risques… Qu’en est-il vraiment ? Pourquoi de telles décisions ? Nous vous proposons de le découvrir dans l’excellent documentaire Tchernobyl : Le mensonge français. Pour y accéder, c’est PAR ICI.