Des chercheurs ont identifié des panaches ramifiés au plus profond du manteau, qui semblent soutenir l’activité volcanique mondiale. Ils expliquent notamment l’existence de volcans qui ne sont pas localisés aux frontières des plaques tectoniques. Ces panaches ont probablement contribué à la formation des continents et pourraient, d’ici des millions d’années, remodeler à nouveau la surface de la Terre.
Un panache désigne une remontée de roches anormalement chaudes, provenant du manteau terrestre. L’île de la Réunion se trouve juste au-dessus de l’un de ces panaches et son piton de la Fournaise est actuellement l’un des volcans les plus actifs de la planète. Mais les chercheurs notent que les éruptions modernes de magma ne sont rien comparées à celles du passé : il y a environ 65 millions d’années, pendant 700 000 ans, une série de coulées de lave a recouvert près de 1,5 millions de km² de terres dans l’ouest de l’Inde sur plus de 2400 mètres d’épaisseur, donnant naissance aux trapps de Deccan.
En 2012, une équipe de géophysiciens et de sismologues a entrepris de cartographier le panache à l’origine de ce phénomène, en déployant un réseau géant de sismomètres sur le fond de l’océan Indien. Près d’une décennie plus tard, ils rapportent que ce panache s’avère en réalité plus étrange et plus complexe qu’ils ne le pensaient : dans un article paru dans Nature Geosciences au mois de juin, ils expliquent qu’un panache magmatique titanesque s’élève du manteau, doté de multiples ramifications orientées vers la croûte, d’où partent d’autres panaches verticaux qui sous-tendent les points chauds volcaniques actuels.
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Une explication aux volcans intraplaques
Cette découverte est survenue quelques mois seulement après la publication d’une autre étude décrivant l’évolution des panaches du manteau en Afrique de l’Est : les auteurs ont identifié au moins deux têtes de panache différentes sous la région Afar (Éthiopie) et le Kenya provenant de la même source, à la limite noyau-manteau ; un troisième panache situé entre le Kenya et l’Afar pourrait avoir causé les trapps d’Éthiopie il y a 30 millions d’années et fusionnerait aujourd’hui avec le panache d’Afar.
La comparaison des deux études suggère que les panaches magmatiques pourraient être plus idiosyncratiques et avoir des antécédents plus élaborés que les modèles traditionnels ne le supposent. Le panache qui se trouve sous la Réunion est peut-être presque aussi ancien que la Terre elle-même, estiment les chercheurs. « En examinant la limite noyau-manteau, vous pouvez peut-être prédire où les océans s’ouvriront », a déclaré Karin Sigloch, co-auteure de l’étude. L’équipe peut ainsi prévoir les terres qui seront un jour rayées de la carte; si les nouveaux modèles sont exacts, dans quelques dizaines de millions d’années, l’Afrique du Sud, voire peut-être la Terre dans son ensemble, seront inhabitables.
Il est aujourd’hui admis que la théorie de la tectonique des plaques, avancée dans les années 1960, est à l’origine de nombreux phénomènes géologiques. En se déplaçant, elles entraînent à leurs frontières des séismes, une intense activité volcanique, ou encore la formation de chaînes de montagne ou de fosses océaniques. La ceinture de feu du Pacifique — qui compte près de 75% des volcans émergés de la planète et qui constitue l’une des zones d’activité sismique les plus importantes — coïncide effectivement avec un phénomène de subduction entre des plaques océaniques. Toutefois, cette théorie n’explique pas l’existence de l’archipel volcanique d’Hawaï.
Des preuves de plus en plus nombreuses
Loin de toute frontière de plaque tectonique, cet archipel apparaît comme une aberration géologique. En 1963, le géophysicien canadien John Tuzo Wilson a suggéré que des chaînes volcaniques comme celle d’Hawaï se forment lorsqu’une plaque tectonique dérive en permanence sur un point chaud stationnaire du manteau ; ce qui provoque une série d’éruptions qui s’éteignent à mesure que la plaque s’éloigne de la source de magma. Puis, en 1971, le géophysicien américain William Jason Morgan a proposé que ces points chauds soient causés par des panaches de matière particulièrement chaude s’élevant du manteau inférieur.
Au cours des décennies suivantes, les géophysiciens ont confirmé que les panaches sont probablement à l’origine des volcans intraplaques actuels — ceux d’Hawaï, mais aussi des volcans terrestres, tels que le supervolcan de Yellowstone. Les panaches sont excessivement chauds (près de 200°C plus chauds que le manteau environnant) ; ainsi, lorsqu’ils atteignent la base des plaques tectoniques, ils font fondre une partie de cette roche et ce magma vient s’ajouter au matériau qu’ils transportent depuis les profondeurs de la Terre, formant un point chaud.
Autre preuve de l’existence de panaches : la présence d’hélium 3 dans les laves éjectées des volcans intraplaques ; or, cet isotope de l’hélium a été piégé au plus profond de la Terre lors de sa formation.
Si aucun panache n’a pu être observé à ce jour, les scientifiques ont rassemblé beaucoup de preuves qui soutiennent leur existence. À celles-ci s’ajoutent les données des sismomètres : à mesure que les ondes sismiques se déplacent, les corps géologiques qu’elles traversent modifient leur vitesse et leur trajectoire ; en particulier, à travers la roche chaude, elles ralentissent. Or, les spécialistes ont observé un ralentissement des ondes sismiques à travers des structures allongées provenant du manteau profond et connectées aux points chauds de la surface.
Les experts sont persuadés que les panaches, tels que le panache ramifié détecté dans l’océan Indien ont joué et continueront de jouer un rôle central dans l’histoire de notre planète. Certains soupçonnent que les panaches africains ont passé au moins 120 millions d’années à briser l’ancien supercontinent du Gondwana. Ainsi, si leur activité perdure, ils pourraient entraîner dans plusieurs millions d’années la désintégration complète du continent africain, détruisant l’Afrique du Sud et faisant de l’Afrique de l’Est un nouveau microcontinent flottant.