La difficulté majeure lorsqu’il s’agit d’administrer un traitement ciblant le cerveau par voie sanguine est de franchir ce qu’on appelle la barrière hémato-encéphalique (une barrière principalement composée de sang séparant l’environnement cérébral du reste du corps). Pour cela, les chercheurs tentent de développer des traitements capables de la franchir dans une certaine mesure, mais aucun ne s’est montré assez efficace pour le moment. Dans un nouvel essai d’une méthode innovante étudiée depuis des années, des chercheurs démontrent pour la première fois qu’il est possible d’affaiblir cette barrière de façon ciblée afin de permettre à un traitement (anticancéreux dans ce cas) de la franchir et d’atteindre directement le cerveau.
Affaiblir la barrière hémato-encéphalique signifie la rendre plus poreuse au niveau de ses vaisseaux sanguins, et c’est exactement ce qu’on fait ici les scientifiques en ciblant une région précise. Ainsi, le médicament administré dans la circulation sanguine peut atteindre le cerveau sans être freiné et altéré par les obstacles naturels du corps humain. Il arrive presque intact jusqu’aux cellules tumorales et libère tout son potentiel.
Dans un essai clinique de phase I, quatre femmes atteintes d’un cancer du sein qui s’était propagé au cerveau ont vu leur tumeur réduite par un médicament connu, appelé Herceptin, grâce à cette méthode. Administré seul, il aurait été impossible d’obtenir ce résultat. Cette nouvelle approche se montre donc très prometteuse. Les résultats de l’étude ont été publiés dans la revue Science Translational Medicine.
Des bulles pour accéder au cerveau…
Comme expliqué précédemment, les vaisseaux sanguins du cerveau sont normalement plus imperméables qu’ailleurs, car les cellules qui composent leurs parois sont plus étroitement liées les unes aux autres. Il en résulte une barrière hémato-encéphalique qui contribue à stabiliser l’environnement chimique des cellules cérébrales et à empêcher l’entrée de toxines et de pathogènes potentiels.
Depuis des décennies, les scientifiques tentent de faire passer des médicaments à travers cette barrière. L’une des principales approches, appelée MR-guided focused ultrasound (MRgFUS), consiste à injecter de minuscules bulles dans le sang, puis à diriger des faisceaux d’ultrasons vers la région du cerveau visée. Les ultrasons font vibrer les bulles, ce qui élargit l’espace entre les cellules de la paroi des vaisseaux sanguins.
Cette méthode a déjà été présentée auparavant, mais son efficacité n’avait jamais été démontrée jusqu’à présent. Nir Lipsman, du Sunnybrook Research Institute de Toronto (Canada), et ses collègues, ont utilisé cette technique pour administrer le traitement anticancéreux Herceptin aux tumeurs qui s’étaient propagées au cerveau de quatre femmes atteintes initialement d’un cancer du sein.
Après avoir reçu des traitements toutes les trois semaines, jusqu’à six fois, leurs cancers ont diminué de 21% en moyenne. Le médicament avait été marqué avec un composé légèrement radioactif, ce qui a permis de montrer, par IRM, qu’il avait bien atteint leurs tumeurs cérébrales. « La réduction de la taille des tumeurs est prometteuse mais doit être interprétée avec prudence car des recherches supplémentaires à plus grande échelle sont nécessaires », explique le Dr Rossanna Pezo, oncologue médicale au Odette Cancer Centre à Sunnybrook.
Ces résultats ne signifient pas qu’il existe désormais un remède contre les tumeurs cérébrales, car la plupart des cancers avancés finissent par développer une résistance aux médicaments tels que l’Herceptin. Mais le rétrécissement des tumeurs de ces quatre femmes est une preuve de principe que la barrière hémato-encéphalique peut être franchie, déclare James Choi de l’Imperial College London, qui n’a pas participé à l’étude. « Pour moi, c’est le rêve ». Une femme est décédée depuis, en raison de métastase ailleurs dans son corps, mais les autres participantes sont actuellement stables.
Un espoir pour le traitement des maladies neurodégénératives
La méthode pourrait à l’avenir aider à traiter d’autres pathologies si des médicaments efficaces sont mis au point, dont notamment des maladies neurodégénératives telles qu’Alzheimer, les maladies du motoneurone ou encore la sclérose en plaques. « D’un point de vue technologique, il s’agit d’une percée majeure », déclare Lipsman.
« Cette étude fournit la première preuve chez l’homme de l’administration non invasive et spatialement ciblée d’un anticorps monoclonal à travers la barrière hémato-encéphalique à l’aide de la méthode MRgFUS, démontrant la promesse de cette technologie pour un large éventail de maladies du système nerveux central », concluent les chercheurs.