En 2019, des chercheurs révélaient les esquisses cachées sous un célèbre tableau de Léonard de Vinci grâce à une nouvelle technique d’imagerie. À d’autres époques, il arrivait que les artistes soient contraints de repeindre par-dessus une oeuvre initiale achevée, simplement par manque de moyens. C’est notamment le cas de Pablo Picasso, dont une peinture cachée sous la surface de l’un de ses tableaux a été révélée grâce à l’intelligence artificielle et une technique d’imagerie avancée, avant d’être « ramenée à la vie » par l’impression 3D.
La peinture en question est un nu, montrant une femme accroupie. Elle a été baptisée « The Lonesome Crouching Nude » (Le nu solitaire accroupi) par Oxia Palus, une société qui utilise la technologie pour « ressusciter l’art perdu », peut-on lire sur son site web. Oxia Palus a été cofondée par George Cann et Anthony Bourached, deux doctorants en apprentissage automatique de l’University College London (UCL).
Un premier rendu du nu caché avait été obtenu par spectrométrie de fluorescence des rayons X (SFX). Mais Oxia Palus déclare avoir maintenant entièrement « ramené à la vie l’œuvre cachée » grâce à son intelligence artificielle et l’impression 3D. Le tableau cachant cette oeuvre, réalisé en 1903 par Picasso, s’intitule « Repas de l’aveugle ».
Un paint-ception réalisé avec réticence…
Pour parvenir à un résultat aussi propre, Oxia Palus a d’abord utilisé l’imagerie SFX et le traitement d’image pour révéler le contour de la peinture cachée. Ce n’est qu’après qu’une intelligence artificielle, en imitant le style de Picasso, a ajouté des détails naturels en simulant des coups de pinceau.
Cependant, chaque coup de pinceau implique une certaine quantité de peinture, et donc un certain relief (hauteur). Pour recréer un rendu réaliste d’une oeuvre cachée, il est donc nécessaire de reconstruire la peinture en 3D. Pour prendre cela en considération, la société a généré une carte de relief du nu et a imprimé l’image sur une toile par impression 3D. Ainsi, les chercheurs se sont assurés que la peinture recréée ressemble au maximum à ce qu’elle était avant d’être recouverte par « Le Repas de l’aveugle ».
« Si les radiographies sont utiles pour révéler les images qui ont été peintes par-dessus, l’IA ajoute une autre couche à notre analyse », déclare Bourached dans un communiqué. « À l’époque où Picasso a peint Le Nu solitaire accroupi et Le Repas de l’aveugle, il était pauvre et les matériaux utilisés par l’artiste étaient coûteux, de sorte qu’il a probablement peint sur l’œuvre précédente avec réticence », a déclaré Cann.
« J’espère que Picasso serait heureux de savoir que le trésor qu’il a caché pour les générations futures est enfin révélé, 48 ans après sa mort et 118 ans après que le tableau a été dissimulé », ajoute-t-il. L’œuvre a été exposée à la Deeep AI Art Fair, à Londres, de mercredi à dimanche dernier.
Un air de déjà vu ?
Ty Murphy, spécialiste de Picasso au sein de la société londonienne Domos Art Advisors, a déclaré à CNN que le tableau produit par l’IA ressemblait à un « Picasso Période bleue », mais qu’en l’examinant de près, un expert serait probablement capable de reconnaître qu’il ne s’agit pas d’un original. Toutefois, les progrès continus de l’apprentissage automatique et de l’impression 3D devraient permettre de réaliser des œuvres encore plus précises à l’avenir, a-t-il ajouté.
Fait intéressant : la femme du tableau apparaît également dans le tableau de Picasso « La Vie » et dans un certain nombre de ses esquisses, « ce qui suggère que l’artiste avait peut-être une affinité avec elle », ajoute Murphy.
Alors que certains experts d’art ont critiqué cette approche technologique, Murphy quant à lui n’a aucun problème à utiliser l’apprentissage automatique pour produire de nouvelles œuvres. « L’histoire nous a montré que les gens imiteront toujours le travail d’autres artistes », a-t-il déclaré. « C’est une exploration de l’esprit de Picasso ».
David Dibosa, qui dirige le cours de maîtrise en conservation et collections au Chelsea College of Arts de Londres, a salué la combinaison technologique utilisée pour réaliser l’oeuvre. Il a déclaré à CNN que quiconque appréciait l’œuvre de Picasso « serait enthousiasmé par l’émergence de l’image ».
Bien qu’impressionnante, cette technologie soulève des questions éthiques. Est-ce acceptable d’essayer de faire revivre « l’art perdu » si ce n’est pas ce que l’artiste aurait souhaité au départ ? Certains experts, dont Dibosa, ont également critiqué le choix d’imprimer l’oeuvre au lieu de la publier sous forme numérique, ce qui aurait permis à de nombreuses personnes de découvrir le travail de Picasso et de s’intéresser à cette forme d’art, qui semble aujourd’hui dépassée… Une illusion collective regrettable.