Qu’est-ce que le temps ? Les scientifiques tentent de le comprendre depuis les débuts de la physique, et nous savons depuis Einstein qu’il (tel que nous l’interprétons) ne s’écoule pas de la même manière pour deux observateurs voyageant à des vitesses distinctes, ou subissant une gravité différente. Ces effets de dilatation sont décrits dans les théories de la relativité générale et restreinte. Pour éprouver une fois de plus l’une de ses implications, des chercheurs ont utilisé une horloge atomique ultra-précise pour mesurer la dilatation du temps entre la base et le sommet d’un échantillon d’atomes.
La différence n’était que d’un millimètre, mais cela a suffi à cette horloge ultra-sensible pour mesurer la différence d’écoulement du temps entre la base et le sommet de l’échantillon. L’exploit de cette expérience réside dans le fait qu’il s’agit de la première fois que la dilatation du temps telle que décrite par Einstein est démontrée avec une différence de hauteur aussi faible.
Qu’ont vu les chercheurs au juste ? Comme ils s’y attendaient, ils ont pu constater que le temps s’est écoulé légèrement plus rapidement au sommet de l’échantillon (là où l’effet de la gravité était moindre) qu’à la base. Les détails de l’expérience et les résultats, qui doivent encore faire l’objet d’une révision par des pairs, ont été publiés sur le serveur de préimpression arXiv.
Étudier la physique comme jamais auparavant
« Les horloges relient fondamentalement l’espace et le temps, fournissant des tests exquis de la théorie de la relativité générale », écrivent-ils dans leur document. Et ils le prouvent bien dans cette nouvelle étude. Mais l’incroyable précision des mesures qu’ils ont obtenues laisse entrevoir la possibilité d’utiliser de telles horloges atomiques ultra-précises pour tester de nombreux autres concepts fondamentaux de la physique.
Une propriété inhérente aux atomes permet aux scientifiques de les utiliser comme de véritables pièces d’horlogerie. En effet, les atomes possèdent différents niveaux d’énergie, qui peuvent être manipulés. Cela peut être fait à l’aide de faisceaux lumineux dont la fréquence spécifique (appelée longueur d’onde) permet de les faire sauter d’un niveau d’énergie à l’autre. Dans une horloge atomique, cette fréquence a la même fonction que le tic-tac régulier de la trotteuse d’une horloge standard. Pour les atomes les plus éloignés du sol, le temps s’écoule plus vite, et il faut donc une plus grande longueur d’onde pour passer au niveau d’énergie supérieur.
Le record précédent de mesure du décalage de fréquence avait été établi avec une différence de hauteur de 33 centimètres. Dans cette étude, grâce à leur système et une horloge atomique ultra-précise, les chercheurs montrent donc une augmentation de la précision d’un facteur 10. Ce décalage est associé à ce qu’on appelle le décalage vers le rouge gravitationnel (gravitationnal redshift), un effet associé au simple décalage vers le rouge utilisé en astronomie (redshift). Le redshift est un phénomène de décalage de la lumière vers les grandes longueurs d’onde (soit vers le rouge pour le spectre visible), observé notamment pour des objets astronomiques lointains.
La comparaison de fréquences la plus précise jamais réalisée
Pour leur expérience, le physicien Jun Ye du JILA à Boulder (Colorado) et ses collègues, ont utilisé une horloge composée d’environ 100 000 atomes de strontium ultrafroids, disposés en réseau — à des hauteurs différentes. En observant la lumière, les chercheurs ont obtenu une cartographie de l’évolution de la longueur d’onde selon la hauteur.
Et cette cartographie a révélé, comme prévu, un changement infime entre les deux extrêmes. Après correction des effets non gravitationnels susceptibles de décaler la fréquence, les chercheurs rapportent que la fréquence de l’horloge a changé d’environ un centième de quadrillionième de pour cent sur un millimètre, soit exactement la quantité attendue selon la théorie de la relativité générale. Autrement dit, l’horloge de Ye et son équipe aurait pu détecter un écart d’une seconde accumulé sur environ 4000 milliards d’années entre les deux moitiés de l’horloge.
Après avoir recueilli des données pendant environ 90 heures, en comparant le tic-tac des sections supérieure et inférieure de l’horloge, l’équipe a déterminé que la technique pouvait mesurer les « taux de tic-tac » relatifs avec une précision de 0,76 millionième de billionième de pour cent. Un record pour la comparaison de fréquences la plus précise jamais réalisée !
Horloges atomiques : des applications diverses et variées
Cette incroyable précision des mesures laisse entrevoir de nombreuses applications futures. « Les horloges atomiques sont désormais si précises qu’elles pourraient être utilisées pour rechercher la matière noire », déclare le physicien théoricien Victor Flambaum de l’Université de New South Wales, à Sydney.
La possibilité de comparer avec précision différentes horloges est également importante pour la mise à jour de la définition de la seconde. La durée d’une seconde est actuellement définie à l’aide d’une ancienne génération d’horloges atomiques qui ne sont pas aussi précises que les plus récentes, comme celle utilisée dans cette étude. De tels systèmes pourraient également permettre de comparer des horloges atomiques fabriquées à partir de différents isotopes, ce qui pourrait aboutir à la découverte de nouvelles particules.
Une autre possibilité est l’amélioration d’un système que vous utilisez souvent, le GPS ! Le GPS fonctionne en mesurant le retard relatif des signaux provenant d’un minimum de quatre satellites, dont chacun possède plusieurs horloges atomiques de différents types. Plus la mesure du retard est précise, plus l’estimation des distances et donc de la position d’un véhicule donné sera précise.