Des archéologues explorant une zone forestière en Asie du Sud-Est ont fait une découverte qui marquera sans doute un moment important de leur carrière : ils ont trouvé un corps de crabe piégé dans un morceau d’ambre datant d’il y a 99 millions d’années, une époque où les dinosaures faisaient partie des prédateurs quotidiens. Il s’agit de la première fois qu’un spécimen de crabe ainsi préservé datant de cette époque est découvert.
Et ce n’est pas le seul record battu par ce « voyageur temporel » étonnamment bien préservé, puisqu’il s’agit également du fossile de crabe le plus complet jamais découvert, selon les chercheurs, qui notent que le spécimen, un Cretapsara athanata de 5 millimètres de long, est remarquablement similaire aux crabes modernes.
D’autres chercheurs avaient fait part de la découverte d’un fossile de crabe dans un morceau d’ambre datant d’il y a 15 millions d’années, au Mexique. Ce nouveau spécimen cependant, qui provient du Myanmar, comble d’importantes lacunes dans notre compréhension de l’évolution des crabes, y compris concernant les différences entre les différentes espèces de crabes. Les détails ont été publiés dans la revue Science Advances.
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« C’est tout simplement époustouflant »
« Nous parlons d’une conservation exceptionnelle, c’est-à-dire qu’il ne manque pas un seul poil », déclare Javier Luque de l’université de Harvard. « Et même s’il est si petit, nous avons pu voir tant de détails si exquis, y compris les branchies. C’est tout simplement époustouflant ».
Bien que les estimations moléculaires fixent l’origine des crabes non marins à environ 130 millions d’années, aucune preuve de la présence de ces crabes au-delà de 75 millions d’années n’avait été trouvée jusqu’ici. Comme ce fossile semble être un crabe d’eau douce, il pourrait faire remonter l’histoire de ce groupe de près de 25 millions d’années.
Cette découverte représente un nouveau genre, que l’équipe a nommé Cretapsara. « Creta » pour indiquer la période du crétacé et « Apsara » pour évoquer « l’esprit des nuages et de l’eau » dans la mythologie de l’Asie du Sud-Est, afin de rendre hommage à la culture et au patrimoine locaux. Le nom complet devient donc C. athanata (Cretapsara athanata).
Luque et ses collègues ont analysé le spécimen sous un microscope standard et une microtomographie aux rayons X. Ils ont alors clairement identifié les yeux, les antennes, les pinces, les pièces buccales, les poils fins et les huit pattes de l’animal, dont une qui s’était détachée du corps, « probablement parce que le crabe luttait pour se libérer de la résine de l’arbre qui l’engloutissait ‘comme une capsule temporelle’ », explique Luque.
Comprendre l’évolution des crabes et des espèces assimilées
Malgré la petite taille de ce spécimen (à peine 2 millimètres de large au total), qui pourrait bien être un juvénile, il présente de nombreux points communs avec les crabes actuels. « Il a cette carapace [coquille supérieure] arrondie et des pattes de marche très développées, de grands yeux et une petite queue repliée sous le corps », explique-t-il. « Toutes ces caractéristiques sont de type moderne ».
Pourtant, selon Luque, cette espèce présente également des différences distinctes qui la relient à ses origines primitives, avec notamment de profondes rainures sur la carapace, contrairement au dessus lisse des crabes actuels. La poitrine est beaucoup plus étroite, ressemblant davantage à celle d’une crevette ou d’un homard qu’à la large poitrine d’un crabe moderne. « Il ne s’agit pas d’un chaînon manquant, mais plutôt d’un cousin éloigné des crabes actuels », explique-t-il.
Les branchies du crabe suggèrent qu’il vivait principalement dans l’eau, contrairement aux crabes terrestres actuels dont les poches d’air ressemblant à des poumons partagent l’espace corporel des branchies. « C’est un point vraiment déroutant et passionnant », déclare Luque. « Comment un animal aquatique peut-il pénétrer dans la sève d’un arbre dans une forêt ? Cela donne matière à réflexion ».
« Une explication plausible est que le crabe effectuait un bref voyage terrestre entre deux plans d’eau lorsqu’il s’est retrouvé piégé », explique Luque. « Son infortune a toutefois permis de mettre au jour un trésor scientifique ‘inestimable’ : la résine se consolide rapidement dans l’eau – ‘comme une super colle’, de sorte qu’elle ne crée presque jamais de fossiles. C’est triste pour l’animal, mais c’était au fond la seule possibilité que nous ayons de savoir qu’il a existé ».
Les recherches de Luque est ses collègues visent à comprendre comment certaines espèces anciennes ont évolué vers les crabes, ainsi que leur évolution et leur diversification au fil du temps jusqu’aux formes modernes que l’on observe aujourd’hui. « Chaque fossile que nous découvrons remet en question nos idées préconçues sur le moment et le lieu d’origine de plusieurs organismes, ce qui nous pousse souvent à remonter plus loin dans le temps », conclut Luque.