Depuis sa découverte en 2012, l’outil CRISPR-Cas9 — qui permet d’éditer et de modifier le génome — a bénéficié de plusieurs améliorations visant à le rendre encore plus précis. La version initiale ne permettait d’effectuer qu’un nombre restreint de modifications et entraînait parfois des changements imprévus. Une approche alternative mise au point en 2019, dénommée « édition principale », s’est montrée beaucoup plus efficace. Et aujourd’hui, une équipe de chercheurs rapporte avoir augmenté de près de dix fois l’efficacité de l’édition principale dans sept types de cellules différents.
Les progrès réalisés en 2019, grâce aux recherches de David Liu et ses collaborateurs de l’Université Harvard, ont permis de disposer d’un outil capable de couper avec précision un double brin d’ADN et de changer la séquence des nucléotides qui le composent (via échange, ajout ou suppression). Cet outil pouvait potentiellement remédier à près de 90% des plus de 75 000 maladies causées par des mutations génétiques, selon ses concepteurs. Bien que ces efforts aient été salués par la communauté scientifique, cette approche a malheureusement fini par montrer elle aussi ses limites.
Malgré son extrême précision, l’outil d’édition principale ne permettait d’éditer les gènes que dans certains types de cellules, tout en étant moins efficace et en introduisant des erreurs dans d’autres. Cette approche a également échoué dans le cas de plus grandes modifications génétiques, en particulier celles qui nécessitaient le remplacement de plus d’une centaine de paires de bases pour corriger une erreur génétique à l’origine d’une maladie. Mais trois équipes de chercheurs ont récemment amélioré l’édition principale, faisant de l’outil CRISPR un génie de l’édition d’ADN.
Un second guide pour mieux cibler les séquences
CRISPR-Cas9 et la technique de l’édition principale s’appuient tous deux sur un « code postal » moléculaire leur permettant de cibler un gène en particulier. Dans le cas de CRISPR, il s’agit d’un ARN guide ; l’édition principale repose sur une version légèrement modifiée de cet ARN guide, notée pegRNA. Une fois que l’outil parvient sur sa cible, le processus diffère. Avec CRISPR, les ciseaux moléculaires Cas9 coupent les deux brins d’ADN au niveau de séquences spécifiques. À partir de là, les cellules peuvent soit rejeter des parties d’un gène, soit insérer une version saine d’un gène pour remplacer l’original.
Cependant, la rupture du double brin d’ADN peut introduire des erreurs dans le code génétique, entraînant des effets inattendus qui varient d’une cellule à l’autre. Dans le cas de l’édition principale, les brins d’ADN ne sons pas coupés, mais plutôt légèrement « pincés » ; il est alors possible de supprimer ou d’insérer un code génétique basé sur un modèle, sans dépendre cette fois-ci du mécanisme de réparation d’ADN de la cellule (ce qui limite les effets secondaires imprévus).
L’équipe de Liu a toutefois vite réalisé que la technique de l’édition principale fonctionnait moins bien lorsqu’il s’agissait d’éditer des gènes plus gros. Or, les gènes les plus volumineux représentent environ 14% des types de mutations difficiles à traiter avec l’outil CRISPR conventionnel. Cette limitation est désormais levée grâce aux récents travaux de recherche.
Une première équipe, de l’Université du Massachusetts, présente un outil dénommé PEDAR, capable de remplacer un fragment allant jusqu’à 10 000 paires de base ! Avec cet outil, ils sont parvenus à supprimer le gène responsable de la tyrosinémie (une maladie du foie héréditaire causée par l’absence d’une enzyme) dans un modèle murin. « Avant, nous faisions de petites corrections pour traiter les petites mutations. Ici, nous avons retiré plus de 1300 paires de bases, il s’agit donc d’une très grande chirurgie du génome », souligne le Dr Wen Xue, qui a dirigé l’étude.
Pour pouvoir travailler sur de plus gros fragments génomiques, l’équipe a ajouté un guide supplémentaire à l’édition principale, tout en restaurant la fonction de découpe du composant Cas9. PEDAR peut concrètement couper et extraire le morceau d’ADN ciblé, puis génère une sorte d’élongation de l’ADN grâce à une protéine spéciale située aux extrémités coupées ; lorsque l’allongement est suffisant, les brins finissent par se raccrocher les uns aux autres. « L’avantage est que nous pouvons vraiment étendre l’échelle de l’édition — laisser les extrémités du génome se trouver sur un kilobase ou 10 kilobases », a déclaré Xue.
Quand CRISPR fournit une meilleure version de lui-même
Le Dr Junhong Choi et ses collègues de l’Université de Washington ont eux aussi retravaillé l’édition principale et ont mis au point l’outil PRIME-Del. Ce dernier utilise deux guides ARN, chargés de saisir le début et la fin du morceau d’ADN qui doit être extrait ; les deux extrémités de la découpe sont ensuite rattachées l’une à l’autre. À l’aide de ce nouvel outil, l’équipe a pu éliminer jusqu’à 10 000 paires d’ADN dans des cellules rénales humaines. Les chercheurs rapportent une efficacité d’édition de 1 à 30%.
Enfin, une troisième étude, dirigée par le créateur de l’édition principale, David Liu, constitue elle aussi un énorme pas en avant dans l’édition génétique. En effet, leur outil ne fonctionnait pas efficacement sur plusieurs types de cellules et modifications. À l’aide d’une méthode baptisée « interférence CRISPR », ils ont donc entrepris de perturber simultanément des centaines de gènes dans les cellules pour examiner comment la modification du fonctionnement interne d’une cellule pouvait impacter les capacités d’édition de l’outil.
C’est ainsi qu’ils ont pu identifier plusieurs protéines ayant un effet bloquant sur l’édition principale. En outre, ils ont découvert que certaines permettaient au contraire d’en améliorer l’efficacité. En tenant compte de ces différentes interactions, l’équipe a conçu PEmax (pour « édition de précision max »), qui s’est avéré près de 10 fois plus efficace que l’édition originale dans près de 200 tâches diverses d’édition de gènes. En d’autres termes, l’outil CRISPR a permis de générer une meilleure version de lui-même ! Et à force d’améliorations, les scientifiques espèrent un jour pouvoir disposer de l’outil ultime permettant de modifier n’importe quel fragment d’ADN à n’importe quel endroit de l’organisme.