La nature est ainsi faite que, comme le décrivent des chercheurs dans une nouvelle étude, le champignon Entomophthora muscae, après avoir rongé de l’intérieur une mouche femelle, pousse les mouches mâles à s’accoupler avec la charogne gonflée de celle qui fut naguère leur congénère. En cause : la production par le champignon démoniaque d’une fragrance enivrante, véritable philtre d’amour qui pousse les mâles à s’accoupler avec le cadavre… et ainsi, à disséminer ses spores. L’étonnante découverte a été publiée le 22 octobre sur bioRxiv.
Sur un coup de tête, vous vous êtes rué sur le cadavre de congénère le plus proche pour lui donner de l’amour ? Si vous êtes une mouche, tout s’explique : vous venez de tomber dans le piège d’Entomophthora muscae. Ce champignon parasite s’attaque à notre bonne vieille mouche domestique Musca domestica de la plus sournoise des manières. Non content de zombifier le comportement des mouches infectées, qui se dirigent vers des positions élevées et meurent les ailes écartées dans une posture favorisant la dissémination des spores du champignon, E. muscae modifie aussi le comportement des individus non infectés !
Dans un article disponible depuis le 22 octobre sur bioRxiv, un serveur de prépublications qui n’ont pas encore été évaluées par des pairs, des chercheurs danois et suédois dévoilent les causes de l’hypnose des mouches mâles : l’émission par le champignon et la carcasse d’un véritable aphrodisiaque, savant mélange de composés odorants.
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Les vieilles carcasses attirent plus les mâles
Pour montrer que le champignon influait sur la reproduction des mouches domestiques, les chercheurs ont commencé par offrir à 15 mâles vierges un choix dantesque. Après une anesthésie indolore, ces derniers se réveillaient dans l’arène d’une boîte de Petri, avec deux partenaires potentielles : un cadavre de femelle basique, et un cadavre de femelle avec « supplément champignon ». Alors qu’aucune préférence n’émergeait à un stade précoce d’infection, les mâles semblaient aimantés par la carcasse sporulante — c’est-à-dire disséminant des spores, cellules reproductives des champignons — et gonflée des femelles gravement atteintes, complètement envahies par le mycélium du champignon.
Pour vérifier que cet envol du mâle profitait à E. muscae, les chercheurs ont laissé les mâles se développer 10 jours après la copulation avant de les diagnostiquer. Verdict : environ 75% des mâles ayant tenté de se reproduire avec une carcasse gravement atteinte étaient infectés par le champignon, contre seulement 15% des mâles ayant fait des avances aux cadavres à un stade d’infection moins avancé, précédant la sporulation.
La recette de la nécrophilie
Une fois prouvée l’attirance par les champignons des mouches mâles, les scientifiques ont étudié son mécanisme. Déjà, les composés volatils émis par les cadavres sporulants de femelles s’avéraient plus excitants pour les mouches mâles que les composés volatils de femelles vivantes : c’était bien l’odorat et non la vue qui émoustillait les mâles. La chromatographie en phase gazeuse couplée à la spectrométrie de masse a permis d’analyser les extraits cuticulaires de mouches domestiques infectées ou saines, et de déterminer l’une des origines du bouquet odorant des cadavres infectés : des alcools et des esters complexes ainsi que des sesquiterpènes — auparavant inconnues chez les mouches, ces molécules complexes ont un effet d’attraction sur les bourdons.
Grâce à des analyses plus poussées, les chercheurs ont conclu que le parfum de mort magnétique de E. muscae était le fruit combiné de l’expression de gènes du champignon et de l’altération de l’expression des gènes de l’animal infecté.
Comme les comportements sexuels et alimentaires sont intimement liés chez la mouche, il reste difficile de savoir si le parfum attire comme un indice de nourriture ou d’accouplement. Mais même si le parfum attire comme indice de nourriture, reste que l’occasion de s’accoupler apparaît une fois sur les lieux. Et c’est cela qui scelle le sort des mâles croisant le chemin de la beauté vénéneuse…