Comment et où la Terre a-t-elle commencé à se former ? Selon les modèles actuels, l’ensemble du Système solaire s’est formé petit à petit à partir du même amas de matière. D’abord le Soleil, puis les planètes — dont la Terre — et les petits corps célestes. Mais une nouvelle étude suggère que la « première roche » spatiale ayant permis la formation de la Terre aurait pu se former dans l’environnement d’une autre étoile. Dans cette hypothèse, ce ne serait donc qu’après que le Soleil aurait réceptionné cette première pièce, autour de laquelle la matière du disque protoplanétaire du Soleil se serait agglomérée pour former la planète sur laquelle ces lignes sont écrites.
Selon le très ancien modèle nommé « hypothèse de la nébuleuse solaire », l’effondrement gravitationnel partiel d’un nuage moléculaire géant aurait donné naissance à notre système solaire, il y a environ 4,55 milliards d’années. Le Soleil serait alors né au centre de la zone d’effondrement, autour de laquelle le disque protoplanétaire — un disque de gaz et de poussières qui environne une jeune étoile (une « soupe » dans laquelle peuvent se former des corps) — a gentiment pris forme, au sein duquel se sont formés les planètes et les autres objets célestes (lunes, astéroïdes …).
Cette modélisation est aujourd’hui largement acceptée et s’applique aussi à l’ensemble de l’Univers, mais certains détails tels que la formation et l’évolution exacte d’objets primitifs spécifiques sur lesquels certaines planètes se sont formées restent sujets à débat.
Comment pourrions-nous être certains que les premières roches ayant permis la naissance de la Terre proviennent toutes de notre système solaire ? Pour le moment du moins, nous ne pouvons pas l’être… Et c’est là que l’équipe de recherche d’Amaya Moro-Martín et Colin Norman, de l’Institut scientifique du télescope spatial de Baltimore (États-Unis) intervient avec sa nouvelle étude (non revue par des pairs), en explorant davantage les possibilités de provenance extrasolaire des premières « graines » ayant permis la formation de planètes et autres corps au sein du Système solaire.
Sommes-nous débiteurs des premières briques de construction de la Terre ?
Selon les conclusions de l’étude, des objets interstellaires pourraient bel et bien avoir ensemencé la formation de planètes dans des systèmes solaires comme le nôtre, ce qui pourrait résoudre un problème clé de diverses théories de formation des planètes.
Encore aujourd’hui, la détection plus ou moins régulière d’objets étrangers suggère que de nombreux corps interstellaires voyagent autour de nous et pourraient s’inviter dans notre système solaire à tout moment. L’objet interstellaire ‘Oumuamua, détecté en 2017, en est un parfait exemple. Au départ, les hypothèses étaient vastes et incluaient un probable astéroïde ou une comète éjectée de son système stellaire hôte. Selon de récentes études cependant, il s’agirait plutôt d’un morceau de glace azotée provenant d’une exo-Pluton (une planète naine de type pluton située en dehors du Système solaire).
En outre, ces échanges de briques célestes primitives suggèrent que de tels objets pourraient jouer un rôle dans la formation des systèmes stellaires et planétaires. La vitesse lente des jeunes étoiles par rapport à leurs voisines, associée à « l’effet de freinage » de la poussière et du gaz qui les entourent, pourrait amener ces objets à entrer en orbite autour d’une étoile plutôt que de simplement la traverser, comme ‘Oumuamua l’a fait.
Des centaines de milliards d’objets interstellaires capturés chaque 10 millions d’années
Dans leur nouvelle étude, disponible sur le serveur de préimpression arXiv, les chercheurs ont modélisé ce processus afin d’estimer combien d’objets pourraient être piégés par une jeune étoile moyenne. Ils suggèrent que, sur une période d’environ 10 millions d’années : 600 milliards d’objets d’environ 1 mètre seraient capturés ; 200 millions d’objets de 10 mètres de large ; 60 000 de 100 mètres de large et 20 de 1 kilomètre de large.
Des chiffres étonnamment élevés, mais très incertains selon l’étude. En effet, les chercheurs précisent qu’il reste encore à ce jour difficile d’estimer la quantité de matière exacte en jeu dans les modèles mathématiques ayant permis d’y aboutir. Mais les conclusions de l’étude permettent toutefois de suggérer que les objets interstellaires pourraient bel et bien « ensemencer » la naissance des planètes.
Selon les théories actuelles, les planètes se forment par l’accumulation de matière obtenue soit par accrétion de petits objets centimétriques appelés flocules, soit par la collision de corps semblables à des astéroïdes, appelés planétésimaux. Mais concernant la première possibilité de formation, quand les corps solides (flocules) ont atteint quelques centimètres ou décimètres, les modèles de croissance par collisions rencontrent un problème majeur, que l’on appelle « la barrière du mètre ». Cette interrogation laisse donc elle aussi une certaine liberté aux théories de formation planétaire.
Pourquoi ces objets de quelques centimètres constituent-ils un problème dans ce modèle ? Tout simplement car avec de telles tailles, les collisions deviennent plus énergiques, trop énergiques pour permettre une agrégation facile de la matière. Autrement dit, ces grandes particules ont alors tendance à se « répulser » plutôt qu’à s’agréger.
C’est là que la théorie sur laquelle se base la nouvelle étude devient intéressante : contrairement aux flocules, les objets interstellaires, plus grands et massifs, permettent à cette matière de se condenser. Leur masse étant suffisante pour capturer davantage de matière, tout en étant suffisamment solides pour résister aux chocs puissants avec d’autres morceaux de matière.
Selon les chercheurs, ces objets nouvellement formés sont parfois éjectés de leur système d’origine, et peuvent ainsi être récupérés par une génération suivante de systèmes planétaires. Cela pourrait donc indiquer que nous devons notre existence à la matière provenant d’une autre étoile. En d’autres termes, il est possible que la Terre ait été formée à partir d’un objet interstellaire se trouvant dans le disque protoplanétaire du Soleil. Aujourd’hui, cet objet ne formerait donc qu’une infime partie de la masse de notre planète et ne serait presque certainement pas détectable.