Un tremblement de terre profond de magnitude 7,9 s’est produit en 2015, dans les îles Bonin, au large du Japon. Des spécialistes de l’Université de l’Arizona se sont penchés sur les données sismiques relevées à l’époque. Ils ont alors découvert que certaines des répliques ont été détectées jusqu’à 750 kilomètres de profondeur, soit jusque dans le manteau inférieur ! C’est le tout premier séisme du genre et ces récentes observations pourraient fournir de nouvelles informations sur les mécanismes qui peuvent produire des tremblements de terre dans les profondeurs de la Terre.
Le plus étonnant dans cette découverte, c’est que les séismes à une telle profondeur sont en théorie impossibles ! En effet, du fait des pressions extrêmes qui règnent à cet endroit du globe, les roches sont plus susceptibles de se déformer que de se briser en entraînant une libération soudaine d’énergie. Mais les minéraux ne se comportent pas toujours exactement comme prévu, souligne Pamela Burnley, professeur de géomatériaux à l’Université du Nevada à Las Vegas, qui n’a pas participé à la recherche.
Le séisme en question, trop faible pour être ressenti en surface, a été détecté à l’aide du réseau Hi-net — un réseau japonais de sismographes à haute sensibilité ; c’est actuellement l’un des systèmes de détection de tremblements de terre les plus puissants. Si la profondeur exacte doit encore être confirmée par d’autres chercheurs, elle est très certainement correcte et soulève de nombreuses questions : la grande majorité des tremblements de terre sont peu profonds, leur foyer (l’hypocentre) se situant dans la croûte terrestre ou le manteau supérieur, soit dans les 100 premiers kilomètres sous la surface. La réplique enregistrée en 2015 à 750 km sous la surface est donc véritablement hors norme !
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Des ondes sismiques issues de la rupture des roches
La croûte terrestre est constituée de roches dures et cassantes, des roches plutoniques, qui résultent du lent refroidissement du magma — du granite dans la croûte continentale, et du gabbro dans la croûte océanique. Lorsque ces roches subissent un stress (suite à des mouvements tectoniques ou à une activité volcanique par exemple), elles se brisent ; l’énergie libérée se répand sous forme d’ondes sismiques jusqu’en surface.
Plus profondément, au niveau du manteau supérieur, les roches sont plus chaudes et soumises à des pressions plus élevées, ce qui les rend moins sujettes à la rupture. Des séismes peuvent néanmoins survenir aussi profondément qu’à 400 km, lorsque la pression entraîne l’éclatement des pores remplis de fluide présents dans les roches. Les séismes ultra-profonds qui naissent dans le manteau inférieur sont, quant à eux, beaucoup plus rares et leur cause demeure mystérieuse. À cet endroit, les pores qui retiennent l’eau ne peuvent plus être envisagés comme cause possible : la pression extrême a vidé définitivement ces poches de fluides. L’explication pourrait en revanche se situer dans l’évolution des minéraux qui composent le manteau terrestre.
Le manteau est constitué d’un agrégat de cristaux d’olivine, de pyroxènes et d’autres roches basiques. À mesure que la profondeur, la pression et la température augmentent, ces minéraux subissent des transitions de phase. Ainsi, vers 400 km, l’olivine (un minéral vert et brillant) se transforme en wadsleyite (un minéral bleuâtre). Vers 500 km, celle-ci subit une nouvelle transformation et ces atomes se réorganisent en ringwoodite. Enfin, à 680 km environ, cette dernière se décompose en bridgmanite et en périclase. Pour comprendre comment les ondes sismiques se déplacent à travers ces différentes phases minérales, les scientifiques ont recréé les pressions extrêmes du manteau et ces transformations minérales au sein d’un laboratoire.
Vers 400 km de profondeur et au-delà
« Ce qui est important à propos de ces phases minérales, ce ne sont pas leurs noms, mais le fait que chacun se comporte différemment », explique Pamela Burnley. Une relation similaire existe entre le graphite et le diamant, les deux principales formes allotropiques du carbone : le graphite est doux, noir et glissant, tandis que le diamant, qui se forme dans le manteau terrestre, est extrêmement dur et clair. De la même façon, à mesure que l’olivine se transforme, ses propriétés physiques changent et elle devient moins susceptible de se fracturer.
Mais en 1989, Burnley et son directeur de doctorat de l’époque, le minéralogiste Harry Green, ont découvert que les transitions de phase de l’olivine n’étaient pas si nettes : ils se sont aperçus que dans certaines conditions, l’olivine pouvait sauter l’étape de la wadsleyite pour se transformer directement en ringwoodite ; et c’est pile à ce moment-là que le minéral est susceptible de se briser au lieu de se déformer. Selon les deux scientifiques, le phénomène pourrait expliquer la survenue des tremblements de terre au-delà de 400 km de profondeur.
Le séisme enregistré sous les îles Bonin est cependant vraiment très profond. Selon Heidi Houston, géophysicienne à l’Université de Californie du Sud, qui n’était pas impliquée dans l’étude, une explication possible serait que la limite entre le manteau supérieur et inférieur n’est tout simplement pas exactement là où les sismologues s’attendent à ce qu’elle soit dans cette région. Il se trouve que la zone est une zone de subduction (où la plaque océanique plonge sous la plaque continentale), ce qui pourrait entraîner une déformation déplaçant cette limite.
Les auteurs de la récente étude pensent que la plaque subductrice s’est déposée sur le manteau inférieur suffisamment fermement pour générer des températures et des pressions élevées, propices à la rupture. Mais Burnley soutient que l’explication la plus probable est liée au fait que les minéraux se comportent de manière atypique. « La croûte continentale qui plonge vers le centre de la Terre est beaucoup plus froide que les matériaux environnants, ce qui signifie que les minéraux pourraient ne pas être assez chauds pour achever les changements de phase qu’ils sont censés subir à une pression donnée », explique la spécialiste.
En conclusion, si un séisme survient au niveau du manteau inférieur, c’est peut-être parce qu’il n’y fait pas aussi chaud que ne le pensent les scientifiques. Quelle qu’en soit la cause, les séismes profonds et ultra profonds restent très rares, ajoute Heidi Houston. Selon elle, seule la moitié environ des zones de subduction dans le monde connaissent ce type de séismes.