La matière noire est une forme de matière hypothétique qui constituerait environ 27% de la densité d’énergie totale de l’Univers observable, selon les modèles cosmologiques. Son existence pourrait notamment expliquer la formation de certaines grandes structures, telles que les amas de galaxies, mais aussi les vides immenses de l’Univers. Des chercheurs de l’Université d’Oslo proposent aujourd’hui un nouveau modèle expliquant la densité actuelle de matière noire : selon eux, de la matière ordinaire se serait convertie en matière noire au début de l’Univers.
La matière noire reste très mystérieuse et les cosmologistes ne savent pas réellement de quoi elle se compose. Ils parviennent néanmoins à estimer la quantité de matière noire dans notre univers à partir des observations du fond diffus cosmologique. Ainsi, pour que les théories de formation de la matière noire soient viables, elles doivent être capables de reproduire cette densité. La plupart des explications proposées font appel à des modèles dits de « freeze-out » ou de « freeze-in ».
Les modèles de freeze-out supposent qu’une grande quantité de matière noire était initialement en équilibre avec le plasma de particules du modèle standard dans l’Univers primitif. Puis, à mesure que l’Univers s’est étendu et refroidi, les processus détruisant les particules de matière noire ont surpassé les processus de formation, jusqu’à ce que la densité de matière noire diminue jusqu’à son niveau actuel. À l’inverse, dans les modèles de freeze-in, l’Univers aurait commencé avec peu ou pas de matière noire, et le plasma de particules du modèle standard en aurait produit davantage, jusqu’à sa densité actuelle. Torsten Bringmann et son équipe proposent une autre explication possible.
Quand la matière ordinaire passe du côté sombre
Ces chercheurs norvégiens suggèrent qu’une petite quantité initiale de matière noire dans l’Univers primitif aurait interagi avec les particules du modèle standard (qui composent la matière ordinaire) de telle sorte que ces particules se transforment elles-mêmes en particules de matière noire. En faisant ainsi passer les particules du modèle standard du côté sombre — leur permettant ensuite de faire de même avec d’autres particules du modèle standard —, la matière noire aurait pu se propager beaucoup plus rapidement que dans les modèles d’immobilisation, et croître de manière exponentielle dans cet environnement dense des débuts de l’Univers.
En réalité, cette nouvelle étude s’appuie sur des propositions antérieures supposant l’existence d’un « bain thermique », au sein duquel la matière ordinaire, sous forme de plasma, aurait produit les premières particules de matière noire — des particules initiales qui auraient pu avoir la capacité de transformer d’autres particules du bain thermique en davantage de matière noire. « Cela conduit à une croissance exponentielle de la densité numérique de matière noire, en étroite analogie avec d’autres processus de croissance exponentielle familiers dans la nature », écrivent les auteurs de l’étude.
Ce processus de formation de matière noire aurait ralenti naturellement au fur et à mesure de l’expansion de l’Univers, puis aurait cessé pour finalement atteindre la densité de matière noire que nous observons aujourd’hui. Selon les chercheurs, cette théorie pourrait avoir des conséquences sur le spectre de puissance du fond diffus cosmologique et sur d’autres propriétés actuelles de l’Univers, ce qui signifie que les observations futures pourraient confirmer ou infirmer ce mécanisme potentiel. En attendant, elle est conforme aux observations.
Une chaîne de production stoppée par l’expansion
La matière noire est difficilement détectable parce qu’elle traverse la matière ordinaire sans réagir avec elle, ni par interaction forte, ni par interaction électromagnétique ; elle peut néanmoins être détectée à partir de ses effets gravitationnels. Le comportement de l’Univers (en particulier, la vitesse à laquelle tournent les galaxies) et l’étude du rayonnement électromagnétique qui constitue le fond diffus cosmologique, confirment que la matière noire existe et qu’elle existe en très grande quantité.
Dans le modèle freeze-in, au fur et à mesure de l’expansion de l’Univers, la génération de matière noire aurait progressivement diminué, jusqu’à cesser complètement — fixant à jamais une certaine quantité. De même, dans le modèle freeze-out, le refroidissement de l’Univers en expansion a stoppé la production de matière noire, mais aussi sa capacité à s’annihiler rapidement, déterminant une certaine quantité finale. La théorie avancée par Bringmann et ses collègues se situe finalement plus ou moins entre ces deux extrêmes. « Nous démontrons que ce mécanisme complète les scénarios de production thermique de type « freeze-in » et « freeze-out » de manière générique. Une exploration plus approfondie et détaillée de cette nouvelle façon de produire de la matière noire à partir du bain thermique semble donc hautement justifiée », écrivent les chercheurs.
Si leur approche est exacte, cela signifierait que la quantité de matière noire a augmenté très rapidement avec l’expansion de l’Univers, puis que cette croissance a ralenti et a éventuellement cessé lorsque l’expansion de l’Univers a ralenti. La matière ordinaire et la matière noire étant de plus en plus éloignées l’une de l’autre au fil du temps, cette chaîne de production de matière noire aurait fini par s’épuiser.
Selon les chercheurs, une preuve de l’exactitude de cette théorie devrait se trouver quelque part dans le fond diffus cosmologique, il s’agit à présent de la trouver. Actuellement, les scientifiques disposent de détecteurs de matière noire extrêmement sensibles (tels que le XENON1T, basé au laboratoire national du Gran Sasso en Italie). Par conséquent, l’hypothèse devrait rapidement être vérifiée.