Le changement climatique entraînera des modifications dans la plupart des écosystèmes, ce qui mettra en péril la survie de nombreuses espèces animales et végétales. Un article publié dans Nature Communications en octobre 2020 soulignait déjà l’extrême vulnérabilité des îles et archipels, et des mammifères qui y vivent, face au réchauffement climatique. Une nouvelle étude avertit aujourd’hui que le changement climatique pourrait même saper tous les efforts de préservation mis en œuvre dans les plus grandes aires marines protégées du monde.
Le changement climatique modifie les conditions biogéochimiques des océans du monde entier : il entraîne une augmentation des températures de l’eau, une acidification progressive — qui provoque le blanchissement des coraux et menace la survie des crustacés, dont les coquilles sont nécessairement fragilisées par une acidité accrue — ainsi qu’un appauvrissement en oxygène. Toute la vie marine est ainsi déstabilisée par ces nouvelles conditions environnementales auxquelles elle n’est absolument pas habituée.
Ces changements majeurs auront également un impact certain, tant d’un point de vue culturel qu’économique, sur toutes les personnes dont les traditions et les moyens de subsistance dépendent des ressources océaniques, souligne James Watson, professeur adjoint au Collège des sciences de la terre, de l’océan et de l’atmosphère de l’Oregon State University et co-auteur de la nouvelle étude. « Ce que nous examinons ici, c’est l’extinction potentielle de tout un environnement », résume-t-il.
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Des conditions « très différentes » dans au moins 60% des océans
Les nouvelles conditions environnementales sont en effet susceptibles d’affecter considérablement les performances des très grandes aires marines protégées (dont la superficie est supérieure à 100 000 km²), qui jouent un rôle majeur dans la conservation des océans. Pour évaluer de quelle manière et dans quelle mesure ces différentes variables pouvaient affecter les océans à mesure que notre planète se réchauffe, les chercheurs ont utilisé plusieurs modèles climatiques reposant sur trois scénarios différents. « Nos scénarios comprenaient des degrés de réchauffement probables, improbables et hautement improbables, qui sont tous plus chauds aujourd’hui qu’ils ne l’étaient il y a 20 ans », a déclaré Steven Mana’oakamai Johnson, co-auteur de l’étude.
Pour chacun des scénarios, le résultat est le même : les conditions océaniques vont subir un changement drastique, « des conditions nouvelles et très différentes de ce qu’elles ont été au cours des 50 dernières années », précise Johnson. Les chercheurs ont estimé que d’ici 2100, 60% à 87% des océans et 76% à 97% des grandes aires protégées devraient réunir de nouvelles conditions sur plusieurs variables biogéochimiques, dont une modification majeure du pH d’ici 2030. Par conséquent, les experts estiment que certains types d’environnements que nous connaissons aujourd’hui n’existeront plus à l’avenir. « C’est une perte environnementale, culturelle et économique que nous ne pouvons pas remplacer », avertit Watson.
Selon les prévisions de Watson et ses collaborateurs, plus de deux tiers des océans devraient subir des changements biologiques et chimiques majeurs. D’ici 2060, les eaux seront plus chaudes et plus acides, tandis que les niveaux d’oxygène diminueront. Les très grandes aires marines protégées, telles que le parc marin de la Grande barrière de corail en Australie et la réserve marine des Galapagos en Équateur, seront particulièrement touchées par ces changements, puisqu’au moins les trois quarts d’entre elles (et jusqu’à 97% !) devraient être impactées.
Les chercheurs rapportent également que le pH devrait diminuer de façon significative dès 2030, rendant les océans encore plus acides — il a déjà enregistré une chute de 0,1 depuis l’époque préindustrielle. Le fait est que cette acidification a de lourdes conséquences sur la faune marine : elle favorise le blanchissement des coraux (un habitat essentiel pour près de 25% de la vie océanique) et met en péril tous les organismes dotés d’une coquille ou d’un squelette calcaire, dont le plancton, un maillon essentiel de la chaîne alimentaire. Une autre étude a par ailleurs montré que l’acidification de l’eau peut également nuire au développement des larves de poissons marins, en perturbant leurs capacités olfactives.
Toutes les espèces devront s’adapter à ces futures conditions
Les auteurs de l’étude notent que la majeure partie du changement se produira dans les tropiques et en Arctique, deux zones qui se réchauffent actuellement à des niveaux jamais vus auparavant. Parce que ce changement est particulièrement prononcé dans les très grandes aires marines protégées, les animaux hébergés dans ces régions sont malheureusement susceptibles de chercher d’autres endroits plus favorables à leur survie. Ces aires sont conçues pour préserver les espèces menacées et les habitats rares, mais « 28 sur 29 de ces zones connaîtront des changements de conditions qui pourraient saper les objectifs de conservation », précisent les chercheurs.
Cette étude donne un triste aperçu de ce que pourraient devenir les océans et la vie marine si la Terre continue à se réchauffer. Mais elle fournit également des informations importantes aux décideurs et aux communautés sur la façon dont ces futures conditions océaniques pourraient les affecter. « Le thon prospère dans certaines conditions océaniques. Si l’océan devient trop chaud, le thon peut se déplacer vers une autre zone. Si votre pays dépend du thon pour sa nourriture ou ses moyens de subsistance, quel impact cela aura-t-il ? », a déclaré Johnson à titre d’exemple.
James Watson est originaire d’Angleterre ; Steven Mana’oakamai Johnson, est originaire de Saipan, la plus grande des îles Mariannes du Nord, un Commonwealth américain à l’ouest du Pacifique. À travers leur étude, tous deux souhaitent sensibiliser le public sur les pertes inestimables à venir. « Pour James et moi, l’expérience océanique avec laquelle nous avons grandi et dont nous avons des souvenirs n’existera probablement pas pour nos petits-enfants », regrette Johnson, qui a déjà été témoin d’un événement dévastateur de blanchissement des coraux à Saipan.
Pour les deux experts, il est temps de faire des plans pour un avenir dénué des ressources marines actuelles. « Il est important de reconnaître et d’accepter ce qui est susceptible d’être perdu, et cette perte peut également aider à motiver les gens à commencer à s’adapter », conclut Watson.