« Un miracle du système immunitaire humain », c’est en ces termes que le Dr Xu Yu, immunologiste à l’Institut Ragon de Boston, décrit le cas d’une jeune femme diagnostiquée séropositive en 2013, aujourd’hui guérie de l’infection sans avoir suivi aucun traitement : son équipe et elle n’ont pas pu trouver de VIH viable dans l’organisme de cette femme, même après avoir utilisé des tests hautement sophistiqués et sensibles pour scanner plus d’un milliard de ses cellules. C’est le deuxième cas documenté de guérison stérilisante reposant uniquement sur l’immunité naturelle du patient.
La Dr Yu est également l’auteure principale d’une étude publiée dans Nature en août 2020, dont l’objet était d’examiner un échantillon d’individus ayant un contrôle spontané du VIH-1, surnommés « les contrôleurs d’élite ». Ces individus font partie des moins de 0,5% de personnes séropositives dont le système immunitaire est en quelque sorte capable de réduire la réplication du virus à des niveaux très faibles, et ce, sans médicaments antirétroviraux.
Ce second cas de « guérison stérilisante » fait l’objet d’un article dans la revue Annals of Internal Medicine. Reste à comprendre les mécanismes qui ont conduit à l’élimination totale du virus chez cette jeune femme. « Comment cela peut-il arriver ? Et comment pouvons-nous reproduire cela thérapeutiquement chez tout le monde ? », s’interroge le Dr Steven Deeks, spécialiste du VIH à l’Université de Californie à San Francisco, qui n’a pas participé à l’étude. Ces cas particuliers de guérison sont porteurs d’espoir pour les quelque 38 millions de personnes qui vivent avec le VIH dans le monde.
Aucune séquence virale intacte dans plus d’un milliard de cellules
Le VIH est particulièrement difficile à éliminer de l’organisme, car au cours de l’infection, ce virus place des copies de son génome dans l’ADN des cellules, créant ce que l’on appelle « un réservoir viral » dans lequel il est à l’abri des médicaments et des défenses immunitaires de l’organisme. De nouvelles particules virales sont constamment fabriquées à partir de ce réservoir. Les médicaments antirétroviraux peuvent empêcher la production de nouveaux virus, mais ne peuvent éliminer le réservoir — c’est pourquoi les personnes infectées doivent prendre un traitement quotidien pour supprimer le virus.
Chez les « contrôleurs d’élite », la situation est différente : les réservoirs viraux sont toujours présents dans l’organisme et sont capables de produire davantage de virus, mais les lymphocytes T de leur système immunitaire sont capables de supprimer eux-mêmes le virus au fil du temps, sans avoir besoin d’un quelconque traitement ! Dans leur précédente étude, Yu et ses collaborateurs ont découvert que le système immunitaire de ces individus semblait avoir détruit de manière préférentielle les cellules infectées capables de produire de nouvelles copies viables du virus ; il ne restait que des cellules infectées dans lesquelles le code génétique viral s’était assemblé à une sorte de « zone morte » de l’ADN cellulaire et donc, était incapable de se répliquer.
L’une des patientes de la cohorte étudiée, Loreen Willenberg, une Californienne de 67 ans diagnostiquée séropositive en 1992, s’était démarquée des autres par son système immunitaire qui avait apparemment complètement éliminé le virus. Même après avoir séquencé des milliards de ses cellules, les scientifiques n’avaient pu trouver aucune séquence virale intacte. La patiente dont il est question aujourd’hui, une Argentine de 30 ans, a été diagnostiquée séropositive pour la première fois en 2013 et présente une prouesse immunitaire tout à fait similaire.
L’équipe de Yu a recherché des traces de VIH viable dans 1,2 milliard de ses cellules sanguines, puis dans 500 millions de cellules de tissu placentaire après que la jeune femme a donné naissance à un bébé séronégatif en mars 2020. Même avec les techniques de séquençage les plus sophistiquées, les chercheurs n’ont une fois de plus trouvé aucune séquence virale intacte dans cette patiente « contrôleuse d’élite ».
Des lymphocytes T particulièrement puissants
Leur étude établit que la patiente n’a pas d’ADN proviral capable de se répliquer dans ses cellules. Le Dr Yu a émis l’hypothèse que chacune de ces femmes pourrait avoir développé une réponse particulièrement puissante des lymphocytes T tueurs — une pression immunologique totale, que les chercheurs pourraient peut-être un jour reproduire sous la forme d’un traitement médicamenteux. L’identification de ce deuxième cas suggère en tout cas que la mise au point d’une thérapie de stérilisation est peut-être envisageable.
Il existe par ailleurs un certain nombre de cas documentés de personnes qui, après avoir arrêté leur traitement antirétroviral, n’ont pas vu leur charge virale rebondir depuis des années — en particulier si la thérapie a été initiée peu de temps après avoir contracté le virus. Aujourd’hui, les scientifiques tentent de guérir une infection au VIH de plusieurs manières, notamment grâce à la thérapie génique ; certaines méthodes visent à éliminer le virus de son réservoir, d’autres consistent à le bloquer à jamais dans les cellules.
À ce jour, les chercheurs ont réussi à guérir thérapeutiquement deux autres personnes, grâce à des greffes de cellules souches complexes. Un Américain, Timothy Ray Brown, et un Londonien, Adam Castillejo, ont reçu des greffes de cellules souches pour traiter un cancer dont ils étaient atteints simultanément (une leucémie myéloïde aiguë et un lymphome hodgkinien, respectivement). Les donneurs présentaient une anomalie génétique rare, qui a rendu leurs cellules immunitaires résistantes au VIH. Mais cette approche est jugée trop dangereuse pour tenter d’éliminer le VIH chez un individu qui n’est pas également confronté à un cancer traitable par greffe de cellules souches.
Les scientifiques tentent également de développer des vaccins pour améliorer la réponse immunitaire de l’organisme face au virus. Le laboratoire Moderna vient d’ailleurs de lancer un essai clinique d’un vaccin à ARN messager contre le sida — les résultats de la première phase sont attendus en 2023. Actuellement, 38 millions de personnes dans le monde vivent avec le virus du sida et l’on compte deux millions de nouveaux malades chaque année. Selon l’OMS, en 2020, 680 000 personnes sont décédées des suites de la maladie.