Pour la première fois, une réaction de fusion nucléaire frôle le seuil d’ignition

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Préamplificateurs laser au National Ignition Facility (NIF). | CC BY-SA 3.0/Damien Jemison/LLNL
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Alors que l’enjeu climatique met la pression sur la recherche et le développement d’énergies plus propres, les progrès récents dans le domaine de la fusion nucléaire sont très encourageants. Dans cet effort, des chercheurs du National Ignition Facility (NIF) déclarent avoir récemment obtenu une première réaction de fusion énergétiquement « rentable » — l’énergie produite par la fusion du plasma aurait été supérieure à celle absorbée par le combustible — en frôlant même le seuil d’ignition (le moment où une réaction nucléaire commence à se suffire à elle-même). Une première mondiale, qui constitue un jalon clé vers la conception des premiers réacteurs à fusion viables.

Un petit rappel s’impose : à contrario de la fission nucléaire, phénomène physique exploité par les centrales actuelles, la fusion nucléaire consiste à provoquer l’assemblage d’atomes, à l’instar de ce qui se produit au coeur des étoiles comme le Soleil, afin de générer une très grande quantité d’énergie. Comme pour la fission, l’énergie obtenue est calculable avec la formule d’Einstein E=mc².

Comparativement aux réacteurs à fission, le rendement d’un réacteur à fusion viable se veut largement supérieur, et surtout : le phénomène exploité est bien plus sûr, car il ne peut pas « s’emballer » dans une réaction en chaîne comme cela peut se produire avec la fission nucléaire. Sans compter que les déchets nucléaires résultants ne sont pas radioactifs et ne soulèvent pas de problématiques majeures quant à leur élimination, comme cela est le cas pour le combustible nucléaire usagé, toujours radioactif.

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Première réaction de fusion à rendement positif

« Ce résultat est une avancée historique pour la recherche sur la fusion par confinement inertiel. […] C’est également un témoignage de l’innovation, de l’ingéniosité, de l’engagement et du courage de cette équipe et des nombreux chercheurs dans ce domaine qui, depuis des décennies, poursuivent inlassablement cet objectif », a déclaré Kim Budil, directeur du Lawrence Livermore National Laboratory (États-Unis).

Lors de la 63e réunion annuelle de la division de la physique des plasmas de l’APS, une équipe de chercheurs dirigée par le Lawrence Livermore National Laboratory a présenté des résultats impressionnants réalisés au National Ignition Facility (NIF) : une réaction de fusion qu’ils ont obtenue récemment aurait atteint 1,3 MJ, surpassant l’énergie absorbée par le combustible utilisé pour la déclencher et marquant ainsi la première fois qu’une telle réaction montre un rendement positif.

« L’un des jalons scientifiques de la recherche sur la fusion sur la voie de l’ignition est la création d’un ‘plasma brûlant’. On parle de plasma brûlant lorsque l’énergie déposée par les particules alpha produites par la fusion est la source dominante de chauffage du plasma – c’est une étape nécessaire pour atteindre l’ignition », peut-on lire dans le communiqué de la présentation.

Les chercheurs déclarent avoir franchi plusieurs étapes clés importantes concernant l’ignition : « Tout d’abord, le gain de combustible, où le rendement neutronique dépasse l’énergie du combustible deutérium-tritium. Ensuite, le ‘chauffage alpha’, où le rendement neutronique est doublé en raison de l’énergie supplémentaire déposée dans le combustible par l’arrêt des particules alpha. Maintenant, nous avons atteint l’état de plasma brûlant. Nous passerons en revue les nouvelles conceptions et expériences et comparerons les résultats avec les critères et les paramètres du plasma brûlant », écrivent-ils dans leur communiqué. L’article faisant état de ces dernières avancées est déjà disponible sur le serveur de prépublication arXiv et est en attente de publication sur la revue Nature.

L’accomplissement majeur est néanmoins le fait que le seuil d’ignition aurait été frôlé. Un élément de l’annonce quelque peu controversé pour le moment, mais accepté par de nombreux experts qui défendent le résultat : « En ce qui concerne la plupart des personnes travaillant dans le domaine, la démonstration scientifique du processus d’ignition a bel et bien été réalisée », déclare Jeremy Chittenden de l’Imperial College London.

Recréer un « minuscule soleil »

La fusion nucléaire, c’est un peu recréer en partie une minuscule étoile. Tout commence par une capsule remplie de combustible composé de deutérium et de tritium — des isotopes plus lourds de l’hydrogène. Cette capsule de combustible est placée dans une chambre creuse en or, de la taille d’une gomme à crayon, appelée hohlraum.

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Illustration de lasers rayonnant dans un hohlraum en or contenant une capsule de combustible en aluminium. © Jacob Long

Une fois le combustible en place, ce sont pas moins de 192 faisceaux laser de forte puissance qui sont projetés sur l’hohlraum, où ils sont convertis en rayons X. Ces rayons X font imploser la capsule de combustible, la chauffant et la comprimant dans des conditions comparables à celles régnant au centre d’une étoile, à des températures de plusieurs millions de degrés Celsius et des pressions des milliards de fois supérieures à celle de l’atmosphère terrestre, transformant la capsule de combustible en une minuscule boule de plasma.

Et, tout comme l’hydrogène fusionne en éléments plus lourds au cœur d’une étoile de la séquence principale, il en va de même pour le deutérium et le tritium dans la capsule de combustible. L’ensemble du processus se déroule en quelques milliardièmes de seconde seulement. L’objectif est d’atteindre le seuil d’ignition, c’est-à-dire le moment où une réaction nucléaire commence à se suffire à elle-même. Passé ce stade, aucun apport d’énergie n’est nécessaire.

Dans une expérience réalisée le 8 août 2021, les chercheurs de cette nouvelle étude déclarent avoir obtenu une fusion record au NIF, avec des puissances de fusion momentanées dépassant les 1PW, et atteint pour la première fois le régime du plasma brûlant, où le chauffage alpha de fusion du combustible dépasse l’énergie fournie au combustible par compression. Le seuil d’ignition aurait donc été frôlé (et pas plus), mais selon certains experts, ce résultat suffit à en faire la démonstration et à prouver qu’il s’agit d’un objectif réaliste à court terme.

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a) Les deux configurations expérimentales de hohlraum utilisées dans les expériences. Les lasers sont regroupés en quatre cônes aux angles. La moitié des faisceaux entrent dans le hohlraum par un trou d’entrée situé en haut de la cible et l’autre moitié par le bas. b) Schéma cunéiforme de la capsule, montrant les caractéristiques en fonction du rayon. c) Deux formes d’impulsion de faisceau laser représentatives (lignes pleines) pour les expériences HyE et I-Raum sont illustrées et comparées aux températures de rayonnement mesurées (lignes pointillées). © James Ross et al.

Cet exploit serait le résultat d’un travail de longue haleine visant à améliorer la conception même du hohlraum et de la capsule de combustible. L’amélioration de la précision des lasers, de nouveaux outils de diagnostic et des modifications apportées à l’architecture globale pour augmenter la vitesse d’implosion de la capsule, y sont aussi pour quelque chose.

« Atteindre le seuil d’ignition en laboratoire reste l’un des grands défis scientifiques de notre époque et ce résultat est un pas en avant considérable vers la réalisation de cet objectif », avait déclaré en août le physicien Johan Frenje du Plasma Science and Fusion Center du MIT.

Source : arXiv

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