Le Very Large Telescope de l’Observatoire Européen Austral a capturé les images d’une gigantesque planète, orbitant autour du système binaire b Centauri. Or, ce dernier est un système particulièrement chaud et massif (de 6 à 10 masses solaires selon les experts). Les scientifiques pensaient jusqu’alors peu probable qu’une planète géante puisse se former autour d’étoiles si massives. Cette découverte remet ainsi en question certaines des théories concernant la formation des planètes.
Des études antérieures de planètes situées en orbite rapprochée autour d’étoiles de masse élevée ont révélé que la fréquence de planètes géantes tend à augmenter avec la masse de l’étoile jusqu’à un certain point (jusqu’à 1,9 masse solaire), au-delà duquel leur fréquence décroît rapidement. Ceci suggérait que la formation des planètes autour d’étoiles plus massives était a priori plus difficile, voire impossible, et que les planètes géantes autour d’étoiles dépassant 3 masses solaires étaient donc rares ou inexistantes.
Cette croyance est aujourd’hui remise en question : des astronomes apportent la preuve que des planètes peuvent orbiter autour de systèmes stellaires beaucoup plus massifs que ce que prédisaient les modèles théoriques. La planète dont il est question ici, baptisée b Centauri b, se situe à une distance de son étoile équivalente à 560 fois la distance Terre-Soleil (soit 560 ua). Elle est 10 fois plus massive que Jupiter. Le rapport de masse planète/étoile, estimé à 0,10-0,17%, est similaire au rapport Jupiter/Soleil, mais la distance qui sépare b Centauri b de son étoile est environ 100 fois supérieure à celle qui sépare Jupiter du Soleil.
Le système stellaire le plus massif jamais découvert
La planète b Centauri b est située à 325 années-lumière de la Terre, dans la constellation du Centaure. C’est la première fois que l’observation d’une planète est confirmée autour d’un système stellaire aussi massif. « La découverte d’une planète autour de b Centauri est très enthousiasmante, car elle change complètement l’image des étoiles massives en tant qu’hôtes de planètes », explique Markus Janson, astronome à l’Université de Stockholm et co-auteur de l’étude relatant la découverte.
« Nous avons toujours eu une vision très centrée sur le système solaire de ce à quoi les systèmes planétaires sont « censés » ressembler. Au cours des dix dernières années, la découverte de nombreux systèmes planétaires dans des configurations surprenantes et inédites nous a fait élargir notre vision historiquement étroite », souligne Matthias Samland, chercheur au Max Planck Institute for Astronomy et co-auteur de l’étude. L’image a été prise par l’instrument SPHERE (Spectro-Polarimetric High-contrast Exoplanet REsearch) installé sur le Very Large Telescope, à l’aide d’un coronographe, qui a permis de bloquer l’intense lumière émise par le système binaire pour mieux distinguer la planète. SPHERE a déjà réussi à imager plusieurs planètes en orbite autour d’étoiles autres que le Soleil, précise l’ESO dans un communiqué.
Le système binaire b Centauri est le système stellaire le plus massif jamais découvert à ce jour. La plupart des étoiles massives sont également très chaudes et ce système ne fait pas exception : son étoile principale est une étoile dite de type B, qui est plus de trois fois plus chaude que le Soleil. En raison de leur température élevée (de l’ordre de 10 000 à 30 000 K), ces étoiles — appelées géantes bleues — émettent d’intenses rayonnements ultraviolets et X. Or, ces rayonnements de haute énergie entraînent une évaporation plus rapide de la matière environnante, impactant potentiellement le processus de formation de planètes proches. « Les étoiles de type B sont généralement considérées comme des environnements destructeurs », confirme Janson.
Un processus de formation qui reste mystérieux
La découverte de b Centauri b montre toutefois que des planètes peuvent réussir à se former même dans des conditions aussi difficiles. L’orbite extrêmement large suivie par cette planète (560 ua) — l’une des plus larges détectées jusqu’à présent — pourrait expliquer comment elle a pu survivre au rayonnement de son étoile.
Une autre propriété qui distingue cette nouvelle exoplanète est la jeunesse relative de son système stellaire, dont chacune des deux étoiles a 15 millions d’années (à comparer au 4,6 milliards d’années de notre Soleil). Selon les chercheurs, il est peu probable que b Centauri b se soit formée in situ par le mécanisme conventionnel d’accrétion de cœur – un modèle de formation planétaire selon lequel les particules solides du disque protoplanétaire de l’étoile s’agrègent jusqu’à former un corps solide, suffisamment gros pour avoir une attraction gravitationnelle.
En revanche, ils suggèrent qu’elle s’est peut-être formée ailleurs puis s’est retrouvée à son emplacement actuel par le biais d’interactions dynamiques, ou bien s’est formée par « instabilité gravitationnelle » — un modèle qui suppose qu’une partie du disque protoplanétaire s’effondre sur lui-même sous l’effet de sa propre gravité. « Lorsque cela se produit, un petit corps secondaire est créé et commence à graviter autour de l’étoile », explique Kaitlin Kratter, de l’Observatoire Steward de l’Université de l’Arizona.
Grâce à l’Extremely Large Telescope de l’ESO, qui devrait être inauguré en 2025, et aux nouveaux progrès techniques à venir, les astronomes pourront sans doute en apprendre davantage sur la formation et les caractéristiques de cette planète. « Ce sera une tâche intrigante d’essayer de comprendre comment cela a pu se former, ce qui est un mystère pour le moment », conclut Janson.