La société française Airseas, spécialiste de la propulsion éolienne pour le transport maritime, vient d’équiper pour la première fois un navire commercial avec son dispositif Seawing : une voile géante, complètement automatisée, qui utilise la force du vent pour faire avancer le navire. Selon ses concepteurs, cette technologie permettrait de réduire la consommation de carburant et les émissions de gaz à effet de serre de près de 20% en moyenne.
C’est l’aboutissement de plusieurs années de recherche visant à rendre l’industrie maritime plus propre. « Cette première installation marque une étape importante non seulement pour Airseas, mais aussi pour l’éolien et les autres technologies de propulsion renouvelables en général », a déclaré Vincent Bernatets, PDG et cofondateur d’Airseas. Le dispositif a été installé sur le Ville de Bordeaux, un navire roulier spécialement conçu pour transporter les pièces des avions Airbus des différentes usines de fabrication jusqu’au site d’assemblage final à Toulouse.
À partir du mois de janvier et pour une période test de six mois, ce navire effectuera des trajets transatlantiques, propulsé par une « aile » de 500 m² déployée à une altitude d’environ 200 mètres. Le Seawing peut être installé sur n’importe quel type de navire en deux jours seulement et prend peu de place sur le pont ; il n’a donc que très peu d’impact sur les opérations de fret et l’espace de stockage des bateaux. Un système automatique se charge de le sortir de son logement et de le déployer à plusieurs centaines de mètres au-dessus du niveau de la mer. La puissance fournie est capable de tracter un bâtiment de 200 000 tonnes.
Une force de traction dix fois plus élevée
Le capitaine du navire n’a qu’à appuyer sur un bouton pour mettre en route le système dès que la météo est favorable. Le processus de déploiement ne prend qu’une quinzaine de minutes et ne nécessite aucune intervention de l’équipage. Dans un premier temps, le cerf-volant géant est extrait de l’espace de stockage — qui ne prend guère plus de place qu’un conteneur de cinq mètres sur cinq. Il est ensuite élevé en haut d’un mât de 30 à 35 mètres pour lui permettre de saisir le vent, après quoi il est déployé au bout d’un long câble pour qu’il atteigne les vents d’altitude plus intenses. La voile dessine alors des huit dans le ciel, à plus de 100 km/h, ce qui génère 10 fois plus de puissance de traction qu’un cerf-volant ou une voile statique !
Le Seawing mis en place sur le Ville de Bordeaux est en réalité une variante réduite du dispositif original qui possède une surface totale de 1000 m². Avec cette surface, un tel système de propulsion permettrait de réduire la consommation de carburant de près de 20% et les émissions de CO2 tout autant. Actuellement, les émissions annuelles du transport maritime sont estimées à 940 millions de tonnes de CO2, ce qui représente près de 3% des émissions mondiales de ce gaz à effet de serre ; ce chiffre pourrait tripler d’ici 2050. « Compte tenu de l’urgence de la crise climatique, le monde a besoin de voir une réduction drastique des émissions de carbone dès maintenant. […] La propulsion éolienne est l’un [des] outils [qui] joueront un rôle essentiel en aidant le transport maritime à réaliser sa nécessaire transition vers la décarbonisation », affirme Vincent Bernatets.
Cette approche a d’ailleurs déjà fait ses preuves : le constructeur allemand SkySails, qui travaille sur le même type de technologie depuis le début des années 2000, affirme que son modèle SkySails C 230, avec une surface de 400 m², peut remplacer jusqu’à 2 MW d’énergie de propulsion standard lorsque les conditions de vent sont optimales ; ces cerfs-volants permettent ainsi d’économiser jusqu’à 10 tonnes de pétrole par jour, selon le groupe.
Une voile « connectée » qui s’adapte aux conditions météorologiques
Le dispositif d’Airseas est bien entendu connecté aux systèmes de navigation du bateau, et réoriente ce dernier en fonction des conditions de vent — de manière à ce qu’il emprunte toujours le trajet le plus efficace possible — grâce à une solution logicielle baptisée EcoRouting. « Le cerf-volant et le navire sont entièrement recréés dans un modèle de simulation, qui agit comme un « jumeau numérique » pour le système physique », explique le site de la société.
Ainsi, les divers capteurs dont il est équipé (centrale à inertie, GPS, anémomètre, etc.) communiquent en permanence avec le modèle numérique, qui est réactualisé toutes les 300 millisecondes. Ceci permet de positionner à chaque instant la voile selon la direction et la vitesse du vent, pour garantir une efficacité maximale. Le système est également capable de détecter l’arrivée d’une tempête, auquel cas la voile se rétracte automatiquement ; elle est néanmoins conçue pour résister à des vents soufflant jusqu’à 75 km/h.
Réduire les émissions de gaz à effet de serre tout en permettant aux armateurs de réaliser des économies significatives en carburant, c’est ce que promet Airseas, qui souhaite révolutionner ainsi tout le secteur du transport maritime. Selon cet article de France Culture, l’entreprise ambitionne de produire 1000 voiles par an pour équiper 15% de la flotte mondiale.