L’atterrisseur de la mission spatiale Chang’e-5 a atterri sur la Lune le 1er décembre 2020, au nord de l’Océan des Tempêtes, sur la face visible de la Lune. Une quinzaine de jours plus tard, un échantillon de roche de 1,7 kg prélevé sur ce site jusqu’alors inexploré est renvoyé sur Terre, faisant de la Chine le troisième pays à rapporter des matériaux lunaires (après les États-Unis de 1969 à 1972, et la Russie en 1976). Aujourd’hui, les scientifiques de la mission affirment que leur atterrisseur a détecté in situ de l’eau sous la surface de notre satellite.
De nombreuses observations orbitales et analyses d’échantillons réalisées au cours de la dernière décennie ont déjà apporté des preuves de la présence d’eau sur la Lune, sous forme d’hydroxyle (OH) et/ou de molécules d’H2O. Les premières données recueillies, à la fin des années 2000, n’avaient toutefois pas permis de faire la distinction entre ces deux formes d’hydratation. Mais en octobre 2020, la NASA lève le doute et annonce que son Observatoire stratosphérique d’astronomie infrarouge (SOFIA) a confirmé, pour la première fois, la présence d’eau (H2O) sur la surface lunaire.
Des molécules d’eau ont en effet été détectées dans le cratère Clavius, l’un des plus gros cratères de la face visible de la Lune, dans l’hémisphère sud. Les scientifiques estimaient alors les concentrations d’eau entre 100 et 412 ppm. Si ces quantités sont dérisoires (à titre de comparaison, le désert du Sahara en contient 100 fois plus !), cette découverte n’en est pas moins intéressante : « Si nous pouvons utiliser les ressources de la Lune, nous pourrons alors transporter moins d’eau et plus d’équipements pour permettre de nouvelles découvertes scientifiques », soulignait à l’époque Jacob Bleacher, scientifique en chef de la NASA.
Premières preuves in situ d’eau lunaire
La mission Chang’e-5 marque une nouvelle avancée dans l’exploration lunaire, car c’est la première fois que la présence d’eau est mesurée et confirmée in situ. « Les échantillons renvoyés sont un mélange de granulés provenant à la fois de la surface et d’en dessous. Mais une sonde in situ peut mesurer la couche la plus externe de la surface lunaire », a expliqué Lin Honglei, chercheur à l’Institut de géologie et de géophysique de l’Académie chinoise des sciences. Les mesures réalisées in situ sont essentielles, car il est difficile de reproduire sur Terre les conditions de surface de la Lune, a-t-il ajouté.
L’atterrisseur chinois est équipé de trois instruments scientifiques : une caméra panoramique stéréoscopique, un radar à pénétration de sol et un spectromètre, chargés d’explorer la topographie de surface, les compositions minérales et la structure souterraine de la zone d’atterrissage. Le spectromètre minéralogique lunaire (LMS) en particulier, a permis de déterminer la composition et la teneur en eau totale des matériaux lunaires du site. Le site d’atterrissage choisi par la mission est considéré comme « jeune » (2 milliards d’années environ) par rapport aux précédentes missions lunaires. Il est recouvert de régolithe sombre et de quelques petits morceaux de roches (moins de 50 cm) plus brillantes, dispersées sporadiquement à la surface.
Avant d’effectuer le prélèvement destiné à être rapatrié sur Terre, l’atterrisseur a effectué des mesures de réflectance spectrale du régolithe et d’une roche située à proximité. « Nous estimons jusqu’à 120 parties par million (ppm) la quantité d’eau (OH + H2O) dans le régolithe lunaire », écrivent les chercheurs dans leur article publié dans Science Advances. Ils avancent l’hypothèse que le vent solaire a sans doute largement contribué à cette légère humidité du sol lunaire, en y implantant directement de l’hydrogène.
Une possible source d’eau issue des profondeurs
Du fait de la présence d’OH/H2O, la roche analysée affichait une absorption plus importante (à 2,85 µm environ) que le régolithe environnant. Cette « roche de couleur claire et piquée en surface », telle que décrite par les scientifiques, baptisée CE5-Rock, contenait près de 180 ppm d’eau selon les premières estimations — ce qui peut suggérer une source d’eau supplémentaire provenant de plus loin sous la surface, en plus de l’action du vent solaire.
Les scientifiques soulignent que la teneur en eau dérivée du régolithe du site d’atterrissage varie énormément : de quasiment nulle (inférieure à 30 ppm) dans la plupart des zones examinées, à environ 120 ppm dans deux d’entre elles, non échantillonnées (et abritées par la roche).
Ces résultats peuvent être dus à la perturbation de la couche supérieure du régolithe fragilisé par le vent solaire, par l’atterrisseur lui-même et le processus d’échantillonnage ultérieur, notent les chercheurs. La roche, dont la teneur en eau est supérieure, peut quant à elle provenir d’une unité basaltique différente, plus ancienne, qui a été éjectée vers le site d’atterrissage ; une hypothèse confirmée par son apparence physique (plus claire) et le fait que sa composition minérale est distincte de celle du régolithe environnant.
Cette découverte devra toutefois être confirmée lors d’analyses futures, car l’équipe reconnaît qu’il est difficile, à l’heure actuelle, de savoir si l’eau détectée est de l’eau « hydroxyle » ou moléculaire, en raison de la couverture incomplète de la région.