La foudre et les magnifiques événements lumineux qu’elle engendre sont encore des phénomènes mal compris. Parce que les éclairs prennent naissance au cœur d’imposants nuages orageux noirs et opaques, il est particulièrement complexe d’avoir un aperçu clair de l’instant qui précède leur déclenchement. À l’aide des données du réseau d’interféromètres à basse fréquence (LOFAR), une équipe internationale est cependant parvenue à élucider une partie de ce mystère qui entoure la foudre.
La foudre est une forte décharge électrostatique qui se produit entre deux régions de l’atmosphère de charge opposée ; elle peut se produire au sein d’un même nuage, entre plusieurs nuages différents, ou bien entre un nuage et le sol terrestre. La décharge commence par l’ionisation d’une petite zone d’air, qui se développe en un canal de plasma arborescent s’étendant sur plusieurs kilomètres. La foudre produit une grande quantité d’impulsions radio à très haute fréquence aux extrémités des canaux négatifs ; les canaux positifs ne montrent des émissions que le long du canal (et non à son extrémité).
Le LOw Frequency Array (LOFAR) — un réseau d’interféromètres répartis dans toute l’Europe — peut détecter ces signaux dans la bande radio très haute fréquence. Il est donc capable de détecter et de suivre la propagation de la foudre à une échelle sans précédent, permettant aux scientifiques « d’observer » l’ensemble du processus. « Les mesures LOFAR nous donnent la première image vraiment claire de ce qui se passe à l’intérieur de l’orage », a déclaré à Quanta Magazine Joseph Dwyer, physicien à l’Université du New Hampshire et co-auteur de cette nouvelle étude publiée dans Geophysical Research Letters.
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Un événement provoqué par des cristaux de glace chargés électriquement
L’étude repose sur des données recueillies par LOFAR en 2018, lorsqu’un intense éclair initié à environ 6 kilomètres d’altitude a zébré le ciel au-dessus des instruments d’observation, aux Pays-Bas. Ce n’est pas la première fois que des détecteurs radio sont utilisés pour observer la foudre, mais LOFAR est beaucoup plus performant que les instruments utilisés auparavant — sa fréquence d’imagerie est 200 fois plus rapide — et peut même générer une cartographie en 3D du phénomène.
L’analyse des données a montré que les impulsions radio provenaient toutes d’une même zone d’environ 70 mètres de large au cœur du nuage orageux, confirmant l’une des hypothèses précédemment formulées pour expliquer les conditions d’initiation de la foudre. En 2019, les chercheurs avaient déjà levé une partie du mystère entourant le phénomène grâce aux données du LOFAR ; ils avaient notamment évoqué des structures en forme d’aiguilles pour expliquer pourquoi la foudre était susceptible de tomber plusieurs fois au même endroit (contrairement à la croyance populaire).
L’hypothèse est la suivante : lorsque des cristaux de glace sont amassés et entrent en collision dans le nuage d’orage, ils se chargent électriquement (les impacts éjectent certains de leurs électrons et chaque cristal devient un dipôle). Par conséquent, les extrémités positives des cristaux attirent les électrons des molécules situées alentour ; ces forces d’attraction génèrent des canaux d’air ionisé (plasma), qui s’étendent en se ramifiant à plusieurs reprises. Chaque ramification va chauffer l’air environnant, attirant toujours plus d’électrons des molécules d’air et intensifiant le courant circulant vers les cristaux de glace. Lorsqu’un canal de plasma devient suffisamment chaud et conducteur, la foudre se propage tout du long.
Une montée en puissance extrêmement rapide
Les données de LOFAR montrent que l’événement s’intensifie de manière exponentielle : en 15 microsecondes, le premier signal de foudre détecté augmente de deux ordres de grandeur ! Au total, la source du signal a parcouru environ 88 mètres. « L’initiation est probablement causée par des canaux ramifiés avec une vitesse de propagation globalement constante de 4,8 ± 0,1×106 m/s pendant la phase de montée en puissance exponentielle », résument les auteurs de l’étude.
Une autre étude confirme le rôle des cristaux de glace dans l’initiation de la foudre : une autre équipe de chercheurs a récemment mis en évidence un lien entre la foudre et la pandémie de COVID-19. Ils ont remarqué que la foudre s’est faite moins fréquente au début de la pandémie : les éclairs auraient chuté de 10% à 20% au cours des trois premiers mois, conclut leur étude. Cette baisse serait principalement due à une diminution de la concentration d’aérosols dans l’atmosphère, inhérente aux mesures de confinement, expliquent les chercheurs. Lorsque la population était confinée à domicile, moins de polluants ont été rejetés dans l’atmosphère et par conséquent, les cristaux de glace disposaient de moins de sites de nucléation.
Si cette nouvelle étude met en lumière les événements qui sont à l’origine de la foudre, elle n’explique cependant pas ce qu’il se passe au moment où les cristaux de glace ionisent l’air environnant, souligne Ute Ebert, physicienne à l’Université de technologie d’Eindhoven, qui n’a pas participé à la recherche. « D’où vient le premier électron ? Comment la décharge commence-t-elle près d’une particule de glace ? », s’interroge-t-elle, selon ses propos rapportés par Quanta Magazine.
Sur ce point, les rayons cosmiques — sur lesquels repose l’autre théorie pouvant expliquer l’origine de la foudre — pourraient finalement jouer eux aussi un rôle, en créant les premiers électrons déclenchant les canaux plasmatiques. Les futures données de LOFAR pourraient permettre de lever le voile sur ces tout premiers instants. L’équipe compte également parvenir à retracer l’ensemble du processus, de la première étincelle conduisant à son initiation, jusqu’à l’impact de foudre au sol, une série d’étapes dont le déroulement reste mal compris.