Le 7 janvier dernier, des scientifiques chypriotes ont déclaré avoir identifié une nouvelle forme virale, qui résulterait de la combinaison des variants Delta et Omicron — d’où son nom « Deltacron ». Selon le Cyprus Times, 25 cas auraient été identifiés à Chypre jusqu’à présent, dont 11 sont hospitalisés. De nombreux scientifiques ont toutefois fait preuve d’un certain scepticisme à l’égard de cette annonce. Il se pourrait en effet que le Deltacron ne soit finalement que le fruit d’une erreur de séquençage. L’équipe chypriote a pourtant confirmé les résultats de ses analyses.
Les cas de contamination augmentent de façon exponentielle depuis l’arrivée d’Omicron, un variant hautement contagieux du SARS-CoV-2. Bien qu’il occasionne des absences en série dans les services publics, les entreprises et les établissements scolaires, il semblerait qu’il ne provoque (heureusement) pas de forme grave de COVID-19. Alors que le monde entier tente tant bien que mal de freiner sa transmission, le virologue chypriote Leondios Kostrikis et son équipe font état d’une nouvelle menace : une fusion d’Omicron et du variant dominant précédent, Delta.
Malheureusement, ce type de scénario est tout à fait possible, selon les experts. « Sur le principe, la recombinaison de différents variants est parfaitement possible. C’est vrai pour les virus en général, et c’est encore plus vrai pour les coronavirus », explique le professeur Christian Bréchot, virologue et ancien directeur de l’Inserm et de l’Institut Pasteur, dans un entretien avec France 24. D’autres scientifiques, tels que Tom Peacock, virologue à l’Imperial College de Londres, estiment toutefois qu’Omicron ne circule pas depuis suffisamment longtemps parmi la population pour pouvoir générer un recombinant.
La méthode de séquençage mise en cause
Il est certain que les événements de recombinaison donnant naissance à d’autres souches plus virulentes est tout à fait possible. Une étude parue l’an dernier dans PLOS One rapportait d’ailleurs que des recombinaisons entre différentes souches avaient déjà été observées lors de séquençages réalisés en Europe et en Amérique du Nord. Dans le cas présent, en revanche, il semblerait que cela ne soit pas le cas.
Pour Peacock, il s’agit plus probablement d’une erreur de séquençage. « Les séquences chypriotes « Deltacron » dont parlent plusieurs grands médias semblent être très clairement une contamination, elles ne se regroupent pas sur un arbre phylogénétique », a-t-il déclaré sur son compte Twitter. C’est en examinant les données de l’équipe de Kostrikis, publiées sur la base GISAID, que le scientifique est arrivé à cette conclusion.
Il pense que les échantillons ont très probablement été tous séquencés au même moment, dans le même laboratoire ; et lorsque de nouveaux variants passent par un laboratoire de séquençage, la contamination des échantillons n’est pas si rare, explique-t-il. Delta et Omicron se seraient ainsi retrouvés tous deux dans les échantillons, mais après les prélèvements. De telles contaminations accidentelles se seraient déjà produites à maintes reprises par le passé.
L’hypothèse est soutenue par plusieurs experts, notamment Krista Queen, directrice de la génomique virale et de la surveillance à la Louisiana State University Health de Shreveport. Selon elle, le problème viendrait de la technique de séquençage utilisée par l’équipe chypriote. Lors du séquençage, les scientifiques utilisent généralement des amorces, qui permettent d’amplifier certaines parties du génome. Mais Queen a expliqué au magazine Newsweek qu’un protocole en particulier, nommé ARTIC, « est connu pour être incapable de détecter une partie spécifique du génome de Delta ». Or, c’est justement au niveau de cette partie — l’amplicon 72 — que sont apparues les caractéristiques de type Omicron du « variant » Deltacron.
Un scénario qui demeurera possible tant que des variants circulent
La spécialiste est ainsi persuadée que le support utilisé pour séquencer le variant Delta contenait des fragments d’Omicron. « Les virus sont enclins à la recombinaison, et nous l’avons en fait constaté assez souvent […]. Ce n’est donc pas en dehors du champ des possibilités. Mais le fait que cela se soit produit juste là, dans ce seul amplicon, ne semble pas probable ». Un avis partagé par Peacock, qui confirme que l’amplicon 72 du variant Delta est très mal capté. « Toute contamination, même à des niveaux minuscules, sera préférentiellement amplifiée et on se retrouve avec des séquences hybrides », a-t-il expliqué sur son compte Twitter.
Leonidos Kostrikis a cependant affirmé qu’il ne pouvait s’agir d’une erreur, arguant que la fréquence de l’infection au Deltacron était plus élevée chez les patients hospitalisés pour COVID-19, que chez les patients non hospitalisés — ce qui exclut, selon lui, l’hypothèse d’une contamination a-t-il déclaré à Bloomberg. En outre, les échantillons analysés auraient été traités via plusieurs procédures de séquençage, dans différents laboratoires. Ce nouveau variant aurait même été détecté en Israël, a-t-il ajouté.
Les deux variants Delta et Omicron circulent actuellement de façon soutenue, une recombinaison de ces deux formes virales est donc possible. Par conséquent, la prudence est de mise et de nouvelles analyses seront sans doute nécessaires pour infirmer ou confirmer l’émergence du Deltacron. Mais s’il s’agit bel et bien d’un nouveau variant, les scientifiques s’accordent à dire qu’il est trop tôt pour évaluer sa contagiosité et sa sévérité.
En attendant d’en savoir plus sur la question, cet événement met surtout en exergue le fait que des variants continuent à se propager dans le monde entier et qu’à moins d’obtenir une couverture vaccinale de niveau mondial, d’autres formes virales continueront à émerger et à menacer l’ensemble des populations. « Une stratégie basée sur la vaccination prioritaire des pays riches ne peut résoudre le problème. Delta nous est semble-t-il venu d’Inde, Omicron probablement d’Afrique du Sud. On parle aujourd’hui d’un Deltacron à Chypre. Dans ce contexte, on voit bien que les stratégies purement nationales à elles seules ne peuvent suffire. Il est impératif de définir une stratégie globale, basée sur la vaccination de l’ensemble du globe », conclut le Professeur Bréchot.