Les scientifiques soupçonnent depuis longtemps qu’un trou noir géant résultant de la fusion de deux trous noirs peut atteindre une vitesse extrêmement rapide. Une équipe apporte aujourd’hui des preuves soutenant cette hypothèse : grâce aux données de LIGO et de Virgo, chargés de mesurer les ondes gravitationnelles, ils ont calculé que la fusion d’un trou noir binaire a engendré un trou noir dont la vitesse de recul peut atteindre 1500 km/s. Le phénomène pourrait avoir d’importantes implications dans l’évolution des galaxies.
Vijay Varma, physicien à l’Institut Max Planck de physique gravitationnelle en Allemagne, et ses collègues, se sont intéressés au signal d’ondes gravitationnelles provenant de la fusion du trou noir binaire GW200129_065458 (dont le résultat est dorénavant nommé GW200129), qui présentaient de fortes preuves de précession orbitale. Les deux trous noirs d’origine, en orbite l’un autour de l’autre, se sont rapprochés peu à peu, puis ont fini par entrer en collision. Le choc a conféré à l’ensemble un effet « coup de pied » entraînant des vitesses de plusieurs centaines de kilomètres par seconde.
Davide Gerosa, astrophysicien à l’Université de Milano-Bicocca, en Italie, compare le phénomène à un tir de canon : « Lorsque le boulet de canon part, le canon recule dans la direction opposée. Lorsque les trous noirs émettent des ondes gravitationnelles, celles-ci transportent une certaine quantité de mouvement linéaire ; les ondes gravitationnelles sont le boulet de canon et le trou noir résultant est le canon », explique-t-il au NewScientist.
Une vitesse estimée à au moins 700 km/s
Les trous noirs possèdent une masse extrême, qui nécessite une force tout aussi extrême pour entrer en mouvement. Néanmoins, il est aujourd’hui avéré que certains trous noirs ne sont pas statiques, bien au contraire. L’an dernier, une équipe du Harvard and Smithsonian Center for Astrophysics a identifié un énorme trou noir se déplaçant à 4810 km/s (soit plus de 17 millions de km/h), dans la galaxie J0437+2456. « Nous observons peut-être les conséquences de la fusion de deux trous noirs supermassifs », déclarait à l’époque Jim Condon, radioastronome à l’Observatoire national de radioastronomie de Charlottesville.
Lorsque deux trous noirs tournent l’un autour de l’autre, ils émettent des ondes gravitationnelles, qui transportent de l’énergie et un moment angulaire. L’orbite se rétrécit progressivement jusqu’à la fusion, qui ne laisse qu’un seul trou noir résiduel. Dans le même temps, les ondes gravitationnelles peuvent également transporter le moment linéaire du système binaire, déplaçant son centre de masse dans la direction opposée. La plupart du moment linéaire est perdu à l’approche de la fusion, ce qui entraîne une vitesse de recul communiquée à l’objet résultant.
À partir de modèles numériques, l’équipe estime que la vitesse de recul du trou noir GW200129 résultant de la fusion est comprise entre environ 700 km/s et un peu plus de 1500 km/s. Cette étude constitue la première identification d’une grande vitesse de recul pour un événement d’ondes gravitationnelles individuel. Compte tenu de la vitesse de GW200129, les chercheurs pensent qu’il y a une probabilité (inférieure à 0,48%) que le trou noir résiduel soit retenu par des amas globulaires (des concentrations très denses d’étoiles). L’équipe précise par ailleurs que les effets du « coup de pied » reçu par le trou noir GW200129 ne devraient pas causer de biais dans les tests de la relativité générale pour cet événement particulier.
Un impact certain sur l’évolution des galaxies
De précédentes simulations numériques ont révélé que la vitesse de recul d’un trou noir post-fusion pouvait atteindre des valeurs de l’ordre de 5000 km/s — ce qui suffirait largement à l’éjecter de sa galaxie hôte. C’est justement ce qui explique pourquoi ces « coups de pied » ont d’importantes implications en astrophysique. Si un trou noir résultant de la fusion de deux trous noirs supermassifs venait à s’éloigner du centre galactique, voire à quitter complètement sa galaxie, cela pourrait avoir un impact sur l’évolution de cette dernière ou même entraîner son fractionnement.
De plus, un trou noir extrait d’un environnement déjà relativement « encombré » aura une influence sur la fréquence des fusions ultérieures. Ainsi, le phénomène pourrait remettre en question l’origine des plus grands trous noirs détectés par LIGO/Virgo, qui en théorie, résulteraient de fusions successives de trous noirs.
Cette étude prouve non seulement que les trous noirs peuvent se déplacer à des vitesses extrêmes, mais qu’ils sont sans doute relativement nombreux dans l’Univers. Notre planète sera-t-elle un jour engloutie par l’un de ces monstres ultrarapides ? Aucune chance selon Vijay Varma, car l’espace est bien trop vaste : « [Ce trou noir] se trouve à des milliards d’années-lumière, donc même s’il était orienté en direction de la Terre, nous n’aurions pas à commencer à nous en inquiéter de sitôt. Mais il se dirige loin de la Terre », a déclaré le scientifique au NewScientist.
L’équipe espère à présent que les futures observations de telles fusions de trous noirs leur permettront d’améliorer leur compréhension du phénomène et de ses conséquences. « Nous pouvons nous attendre à voir plus d’événements de ce type à mesure que la sensibilité des détecteurs s’améliore », concluent les chercheurs.