Curiosity détecte une signature carbonée inhabituelle dans le sol martien

signature carbone mars
| NASA/JPL-Caltech/MSSS
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Depuis le mois d’août 2012, le rover Curiosity, au cœur de la mission Mars Science Laboratory, explore le cratère Gale à la recherche de potentielles traces de vie ancienne. Les instruments dont il est équipé lui permettent d’effectuer des forages et d’analyser la composition minéralogique et organique des prélèvements. Plus de 30 échantillons ont été collectés et analysés entre août 2012 et juillet 2021. En examinant l’abondance des isotopes du carbone dans 24 d’entre eux, les chercheurs ont avancé plusieurs théories pouvant expliquer l’origine du carbone sur Mars, dont l’une repose sur un processus biologique.

Les données isotopiques du carbone contenu dans les sédiments martiens peuvent potentiellement élucider l’origine des matières organiques de la planète et révéler des aspects du cycle du carbone martien. « Les quantités de carbone 12 et de carbone 13 dans notre système solaire sont les quantités qui existaient lors de la formation du système solaire », explique dans un communiqué Christopher House, professeur de géosciences à l’Université d’État de Pennsylvanie et co-auteur de l’étude. Or, les analyses ont révélé une grande variation des quantités relatives de ces deux isotopes : certains échantillons étaient particulièrement riches en carbone 13, tandis que d’autres, au contraire, n’en contenaient que très peu.

Pour expliquer l’appauvrissement anormal en 13C observé dans certains échantillons, les scientifiques avancent trois hypothèses : la photolyse du méthane biologique libéré du sous-sol, la photo-réduction du CO2 atmosphérique et le dépôt de poussière cosmique lors du passage à travers un nuage moléculaire géant. « Ces trois scénarios ne sont pas conventionnels, contrairement aux processus courants sur Terre », écrivent les chercheurs dans leur article, soulignant qu’aucune de ces explications ne peut être validée sans recherches supplémentaires.

Une invitation à rêver, prête à être portée.

Du carbone 13 déposé par un nuage de poussière

Les valeurs isotopiques du carbone ont été évaluées par spectrométrie, à partir du méthane libéré pendant la pyrolyse des échantillons. Les mesures relevées par les instruments de Curiosity montrent un haut degré de variation (de -137 ± 8‰ à +22 ± 10‰). Parmi elles, les chercheurs ont remarqué 10 valeurs d’abondance de 13C inférieures à -70‰, correspondant à six emplacements d’échantillonnage différents.

variation isotopique carbone
Ratios 12C/13C mesurés à partir du méthane libéré par pyrolyse. © C. House et al.

« Les échantillons extrêmement appauvris en carbone 13 ressemblent un peu aux échantillons australiens prélevés dans des sédiments vieux de 2,7 milliards d’années. […] [Ils] ont été causés par une activité biologique lorsque le méthane était consommé par d’anciens tapis microbiens », a déclaré House. Si cette explication est valable pour notre planète, on ne peut toutefois l’appliquer à Mars, car elle s’est formée à partir de matériaux et de processus différents de ceux de la Terre, précise le scientifique. « La chose la plus difficile est de laisser tomber la Terre et de laisser tomber ce parti pris que nous avons et d’essayer vraiment d’entrer dans les principes fondamentaux de la chimie, de la physique et des processus environnementaux sur Mars », ajoute l’astrobiologiste Jennifer Eigenbrode, co-auteure de l’étude.

Les chercheurs suggèrent ainsi trois autres hypothèses. La première repose sur un immense nuage de poussière cosmique. En effet, il se trouve que le système solaire traverse un nuage moléculaire géant une fois tous les 100 millions d’années ; l’événement déclenche le refroidissement des planètes terrestres via l’influx de particules dans leurs atmosphères, qui se fait alors 20 à 100 fois plus élevé que le flux habituel de poussière interplanétaire. La traversée de ce nuage entraînerait inévitablement un afflux de particules carbonées appauvries en 13C, car environ 1% de ces nuages interstellaires est constitué de poussière, notent les chercheurs — et de précédentes recherches ont montré que la poussière interstellaire est une source potentielle de carbone hautement appauvri.

Cependant, étant donné que le flux de particules est censé déclencher un événement de refroidissement global, des glaciers se seraient donc formés (car Mars contenait de l’eau à l’époque). La poussière se serait ainsi accumulée sur la glace et aurait dû rester en place après la fonte des glaciers. Mais jusqu’à présent, il existe peu de preuves de la présence d’anciens glaciers dans le cratère Gale. L’explication est « plausible », mais nécessite d’autres recherches, conclut l’équipe.

La signature d’une possible activité biologique ?

Autre scénario envisageable : la conversion du dioxyde de carbone de l’atmosphère martienne en composés organiques (comme le formaldéhyde), sous l’action des UV. De précédentes recherches suggèrent que la production abiotique de carbone organique sur Mars par réduction électrochimique ou photochimique est possible ; dans les deux cas, cela conduirait à une matière appauvrie en 13C. « Il existe des articles qui prédisent que les UV pourraient provoquer ce type de fractionnement. Cependant, nous avons besoin de plus de résultats expérimentaux montrant ce fractionnement de taille afin de pouvoir confirmer ou exclure cette explication », précise House.

scénarios carbone mars
Les trois scénarios pouvant expliquer l’appauvrissement en 13C. En bleu : le méthane produit biologiquement en sous-sol pourrait entraîner le dépôt de matière organique appauvrie en 13C après photolyse. En orange : les réactions photochimiques peuvent donner lieu à divers produits atmosphériques, dont certains seraient déposés sous forme de matière organique. En gris : la matière organique appauvrie en 13C entrerait dans l’atmosphère martienne si le système solaire traversait un nuage moléculaire géant. © C. House et al.

Enfin, dernière hypothèse : la lumière ultraviolette aurait pu convertir le méthane produit par des processus biologiques. Sur Terre, une signature fortement appauvrie en carbone 13 provenant d’une paléosurface indiquerait que des microbes du passé ont consommé du méthane produit par voie microbienne — le carbone 12 étant plus petit et plus léger, les organismes vivants l’utilisent davantage que le carbone 13 pour métaboliser leur nourriture ou pour la photosynthèse. Ainsi, des roches anciennes contenant plus de carbone 12 que de carbone 13 suggèrent généralement la présence d’une forme de vie.

Les chercheurs pensent que de grands panaches de méthane ont pu autrefois être libérés de la subsurface de Mars, où la production de méthane était énergétiquement favorable. Ce méthane aurait ensuite été consommé par les microbes de surface ou aurait réagi avec la lumière ultraviolette, puis se serait déposé directement sur la surface. Mais étant donné qu’aucune forme de vie microbienne n’a jamais été détectée sur Mars, les UV restent pour le moment la seule option possible.

En résumé, aucune conclusion ne peut être tirée de ces données pour le moment. « Les trois possibilités indiquent un cycle du carbone inhabituel, différent de tout ce qui existe sur Terre aujourd’hui. Mais nous avons besoin de plus de données pour déterminer laquelle de ces explications est la bonne », a déclaré House. Curiosity a déjà parcouru plusieurs kilomètres sur la planète rouge et sa mission continue. Perseverance, qui l’a rejoint en 2021, est lui aussi en train d’échantillonner le sol martien. Espérons que l’un des deux apportera de nouveaux indices permettant de résoudre ce mystère.

Source : C. House et al., PNAS

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