Trois équipes de scientifiques ont publié leurs recherches en même temps. Celles-ci portent sur des expériences de calcul quantique basées sur l’utilisation des propriétés du silicium. En atteignant un taux d’erreur de calcul inférieur à 1%, elles pourraient ouvrir la voie à de grandes avancées dans le domaine des ordinateurs quantiques.
Les recherches concernant les ordinateurs quantiques vont bon train ce mois-ci. Hier, nous publiions un article concernant les avancées des calculateurs utilisant des atomes neutres. Cette fois, ce sont trois équipes de chercheurs qui ont publié leurs avancées le même jour dans le journal Nature. Les auteurs principaux des trois études sont Xiao Xue, Akito Noiri et Andrea Morello.
Pour rappel, donc, un ordinateur quantique permet de faire des calculs en s’appuyant sur les principes de physique quantique, c’est-à-dire la science qui s’intéresse au comportement de la matière et de la lumière à un niveau microscopique ou atomique. C’est en étudiant la façon dont la matière se comporte à ce niveau que sont apparus certains principes physiques, très différents de ce que l’on connaissait jusqu’alors.
Pour les ordinateurs quantiques, ce qui est la clef, c’est le principe de superposition quantique. En résumé, il s’agit du fait que quelque chose puisse être « dans deux états en même temps ». Un ordinateur ordinaire aura pour unité d’information de base les « bits », qui peuvent seulement être à l’état « 0 » ou « 1 ». Dans un ordinateur quantique, c’est très différent. Un calculateur quantique utilise ce qu’on appelle les « qubit », qui, grâce à cette loi de superposition, peuvent en quelque sorte être à la fois 0 et 1, et même des états entre les deux, comme 0-1, 1-0, 1-1…
La superposition est aussi le principe qui permet aux algorithmes quantiques d’utiliser « l’intrication quantique ». L’intrication quantique est une sorte d’enchevêtrement, entre deux qubits, par exemple, qui en fait un seul système. Si bien qu’ensuite, même si on les éloigne, il sera possible de connaître l’état d’un qubit en mesurant celui de l’autre. Ce phénomène étonnant est requis pour faire un calcul quantique.
Des méthodes pour « piéger » les atomes
Il existe plusieurs façons de concevoir ces ordinateurs quantiques à la puissance si convoitée. Google met par exemple beaucoup en avant son calculateur quantique basé sur des matériaux supraconducteurs maintenus à très basse température.
Les trois recherches publiées dans Nature mettent elles en avant le silicium, dans des systèmes qui utilisent le « spin » des électrons, ou leur « moment magnétique ». Pour reprendre la définition de Wikipédia, « le spin est, en physique quantique, une des propriétés internes des particules, au même titre que la masse ou la charge électrique. Comme d’autres observables quantiques, sa mesure donne des valeurs discrètes et est soumise au principe d’incertitude. C’est la seule observable quantique qui ne présente pas d’équivalent classique, contrairement, par exemple, à la position, l’impulsion ou l’énergie d’une particule ». Il s’agit donc d’un phénomène assez difficile à concevoir, qu’on pourrait imaginer très grossièrement comme « l’orientation » du champ magnétique des électrons. Mais comme on se trouve en physique quantique, il faut considérer qu’ils pointent à la fois dans une direction et dans une autre… C’est ce qui fait que ces qubits peuvent avoir l’état 0 et 1 en même temps.
Globalement, pour faire des calculs quantiques, l’idée est de réussir à isoler les atomes qui vont former les qubits, tout en leur permettant d’interagir entre eux en temps utile. Les auteurs de ces récentes études ont utilisé différentes méthodes pour cela. Les « quantum dots », par exemple, ou « boîtes quantiques », sont des sortes de petits « pièges » à atomes. Dans le cas présent, ils ont été réalisés à partir de silicium.
Un seuil d’erreur corrigible
Morello et son équipe ont adopté une approche différente. Ils ont introduit un électron dans leur système de deux noyaux de phosphore par implantation d’ions dans le silicium. Si, dans les deux cas, le silicium a été favorisé, c’est notamment en raison de sa capacité à être « purifié isotopiquement ». C’est-à-dire que l’on peut faire en sorte que la majorité de ses atomes n’aient pas, autour de leur noyau, d’électrons ayant eux-mêmes un moment magnétique. Si tel était le cas, il pourrait y avoir des interférences avec les qubits.
Autre avantage crucial du silicium : il est déjà beaucoup utilisé et ses usages sont développés en électronique. Des ordinateurs quantiques basés sur ce matériau seraient donc beaucoup plus faciles à développer. Ce qu’il faut surtout retenir de ces trois avancées, c’est qu’elles ont franchi un seuil crucial.
En effet, toutes les équipes affirment qu’elles sont parvenues à atteindre un taux d’erreur de calcul inférieur à 1%. Si cela fait tant de bruit, c’est parce que ce taux est la référence pour que la correction des erreurs de calcul soit possible. Cela pourrait donc être un tournant pour l’arrivée de calculs quantiques vraiment fiables avec cette technologie. « L’exigence centrale de la tolérance aux pannes est exprimée en matière de seuil d’erreur. Alors que le seuil réel dépend de nombreux détails, une cible commune est le seuil d’erreur d’environ 1% du code de surface bien connu », confirme ainsi l’étude de Xiao Xue et ses pairs.