Des chercheurs du Laboratoire national d’Oak Ridge (ORNL) du Département américain de l’énergie ont « upcyclé » un type de caoutchouc (retrouvé dans les couches pour bébés) en modifiant sa structure chimique dans le but de créer un adhésif de grande ténacité, et le résultat surpasse leurs attentes. Une innovation technique, écologique et durable contre un fléau mondial, la surconsommation de matières plastiques.
Le plastique est un matériau polyvalent, capable de garantir, s’il est bien choisi, une excellente sécurité sanitaire. Il est aujourd’hui omniprésent dans le secteur médical, technologique, mais aussi dans notre univers domestique.
Les auteurs de la nouvelle étude sont partis du SEBS (polystyrène-b-poly(éthylène-co-butylène)-b-polystyrène), un élastomère thermodurcissant facilement recyclable. Il peut être façonné à volonté puisqu’il fond et durcit de manière réversible, sous l’action de la chaleur (vêtements synthétiques, filaments de brosses à dents).
À partir de quelle matière ?
Par définition, un adhésif résistant doit transmettre une force/énergie entre des substrats collés en ayant une caractéristique d’hystérésis (ou rémanence) mécanique stable (éviter la rupture soudaine de l’adhésion par dissipation des contraintes) et former des liaisons solides avec des substrats.
Les adhésifs actuels sont soit des adhésifs forts supportant des charges conséquentes dont la ténacité est faible (rupture soudaine lorsque les contraintes augmentent) ; soit des adhésifs ductiles/flexibles (ruban adhésif). « Les adhésifs solides et résistants sont difficiles à concevoir car ils doivent incorporer des caractéristiques dures et souples qui ne sont généralement pas compatibles », a déclaré Tomonori Saito, scientifique de l’ORNL et auteur correspondant. La solution est venue de la nature, comme beaucoup d’autres innovations techniques : la nacre des coquillages pour la résistance, le système d’attaches des moules pour l’adhésion dynamique sur différents supports.
La nacre est composée de plaquettes hexagonales d’aragonite liées entre elles par des biopolymères élastiques, alternant phases dures/phases molles. Cette hiérarchie multiphasique permet de dissiper, à travers la phase molle, les contraintes lorsqu’elles augmentent.
La moule, quant à elle, si difficilement décrochable de son rocher, développe une synergie entre deux composés d’une protéine contenue dans son pied : un acide aminé, la lysine, lié à une molécule cyclique coiffée de deux fonctions alcool, le catéchol. Les radicaux de lysine « balaient » la surface du support avec ses cations (ions positifs), permettant alors aux atomes d’hydrogène des radicaux de catéchol de se lier avec le support, où affleurent généralement des oxydes métalliques.
Upcycling : une nouvelle vision du recyclage et de la chimie
Ce travail de recherche se base sur la nouvelle tendance du « upcycling », littéralement « recyclage vers le haut ». La différence fondamentale avec le recyclage « classique » dit « downcycling » est que ce dernier détruit tout. Dans le cas présent, les scientifiques cherchent à donner une caractéristique supplémentaire au SEBS, en modifiant sa structure chimique.
Le principe est d’ajouter des esters boroniques à SEBS (matrice S-Bin) lui permettant une interaction dynamique, ou réversible, avec les terminaisons hydroxy des nanoparticules de silice, ou SiNP, un matériau de charge utilisé pour renforcer les polymères. La combinaison donne un nouveau matériau multiphase ester boronique réticulé-SiNP pouvant donc créer des liaisons stables. Elles se créent et se rompent à plusieurs reprises !
Comme l’exposent les résultats de l’étude (figure ci-dessous), ces liaisons réticulées dynamiques se déplacent dans le matériau afin d’adhérer aux surfaces si fortement qu’un centimètre carré peut soutenir environ 136 kg ! Le même comportement s’observe avec les nanoparticules de l’aluminium, l’acier et le verre.
« Il est rare qu’un adhésif haute performance soit amovible, mais le nôtre est conçu pour être réutilisé et recyclable », a déclaré Md Anisur Rahman, co-auteur principal de l’étude. « Il peut être appliqué et détaché avec de la chaleur et de la pression et réutilisé plusieurs fois ».
Ces découvertes fournissent des informations sur une autre utilisation des polymères dynamiques pour le recyclage et offriront de nombreuses opportunités pour la conception d’adhésifs exceptionnellement résistants pour de nombreuses applications, notamment les industries de l’automobile, de l’aérospatiale et de la construction. Ces secteurs représentent respectivement 9,9%, 16,7% et 19,9% de la production mondiale de plastique selon Plastics Europe Annual report of PlasticsEurope. «Plastics: the facts 2019».
Ces travaux de recherche fournissent une preuve supplémentaire de l’intérêt à associer la nature et la chimie. Ici, cette union apporte des solutions durables quant à la réutilisation des plastiques, sachant que seuls 7 à 9% de la totalité du plastique produit dans le monde sont recyclés…