Le 21 décembre dernier, le Joint European Torus (JET), le plus grand tokamak au monde, a réussi à maintenir un plasma à 150 millions de degrés Celsius pendant 5 secondes. Les scientifiques du consortium EUROfusion rapportent une production de 59 mégajoules d’énergie, soit une quantité plus de 2,5 fois supérieure au précédent record de 22 mégajoules établi par le réacteur en 1997. Cette nouvelle performance démontre non seulement tout le potentiel de l’énergie de fusion en tant qu’énergie sûre et durable, mais conforte le projet ITER, actuellement en construction dans le sud de la France.
Alors que le monde entier cherche à réduire ses émissions de gaz à effet de serre pour lutter contre le réchauffement climatique, la fusion nucléaire apparaît comme une source d’énergie très prometteuse. Elle repose en effet sur un combustible quasi illimité — dans le cas de JET et ITER, un mélange de deutérium et de tritium — et implique une réaction sûre (elle ne peut « s’emballer ») et verte (elle ne produit aucune émission nocive). Reste à réussir à maintenir cette production d’énergie sur la durée et surtout, à augmenter le rendement : dans le cadre de cette nouvelle expérimentation, le réacteur a consommé environ trois fois plus d’énergie qu’il n’en a produit.
Le JET a produit un total de 59 mégajoules (MJ) d’énergie thermique sur une période de cinq secondes, soit une puissance de fusion d’environ 11 mégawatts. « Une impulsion soutenue de fusion deutérium-tritium à ce niveau de puissance – presque à l’échelle industrielle – apporte une confirmation retentissante à tous ceux qui sont impliqués dans la quête mondiale à la fusion », a déclaré le Dr Bernard Bigot, directeur général d’ITER, dans un communiqué. Il est prévu qu’ITER produise au moins dix fois plus d’énergie que la quantité injectée.
Un banc d’essai essentiel au projet ITER
Si les recherches progressent, on est encore très loin de produire de l’électricité par fusion nucléaire. En effet, aucune expérience n’a abouti à une production nette d’énergie. L’an dernier, des chercheurs de la National Ignition Facility — une installation qui repose sur la fusion par confinement inertiel — se sont approchés au plus près de cet objectif : pendant un très bref instant, ils ont en effet réussi à produire 1,3 MJ, une quantité équivalente à 70% de l’énergie de l’impulsion laser initiale !
Le meilleur rendement affiché par le JET remonte quant à lui à 1997 : le réacteur avait brièvement (pendant 1,5 seconde) atteint la puissance maximale de 16 MW, soit les deux tiers de la puissance injectée en entrée (24 MW). Le projet ITER est en quelque sorte une version avancée et agrandie du JET, conçue pour fournir de plus gros rendements ; ce tokamak de 20 mètres de large pourra contenir dix fois plus de plasma que le JET (830 m³ exactement). En théorie, un volume de plasma plus important permettra de maintenir plus longtemps les conditions de fusion, en rendant plus difficile l’évacuation de la chaleur. L’ITER devrait entrer en service fin 2025.
En attendant, le JET — situé au Culham Science Center, à Abingdon, près d’Oxford — fait office de banc d’essai, les différentes expérimentations permettant d’évaluer divers matériaux et technologies. Par exemple, il était initialement revêtu de carbone parce que ce matériau résiste à la fonte, mais il s’est avéré que le carbone « absorbait le combustible comme une éponge », explique Fernanda Rimini, experte en opérations plasma du JET, à Science.
Les concepteurs d’ITER ont donc opté pour des revêtements en béryllium et tungstène. Et pour vérifier leur efficacité, le JET a été adapté en conséquence : depuis 2006, il a subi plusieurs modifications de manière à le rendre quasi identique au futur ITER pour pouvoir conduire toutes sortes d’expériences préliminaires. Ses aimants, son système de chauffage du plasma et sa paroi interne, sont donc semblables à ceux du futur réacteur géant.
Un dernier cycle avant qu’ITER ne prenne le relais
En 2011, une fois les changements effectués, l’équipe a mené de nouveaux tests, mais ceux-ci se sont avérés peu concluants. « Nous n’arrivions pas à atteindre les mêmes régimes [de haute puissance] », se rappelle Steve Cowley, qui dirigeait à l’époque le Culham Centre for Fusion Energy. L’équipe du JET a alors découvert que les ions du plasma réagissaient avec les ions tungstène de la paroi, ce qui occasionnait des pertes de chaleur. Pour contourner ce problème, les chercheurs ont entrepris d’injecter une fine couche de gaz (azote, néon ou argon) près de la paroi du réacteur, de manière à refroidir les bords extérieurs du plasma et l’empêcher de réagir avec le tungstène.
Enfin, pour se rapprocher toujours plus des conditions d’expérimentation d’ITER, l’équipe décide en septembre 2021 de changer de combustible pour passer à un mélange deutérium-tritium. La plupart des réacteurs à fusion utilisent en effet de l’hydrogène et du deutérium pour mener leurs expériences (car le tritium, un isotope radioactif de l’hydrogène à désintégration rapide, n’est présent dans la nature qu’à l’état de traces) — le tritium est aujourd’hui produit par des réacteurs nucléaires conventionnels, mais à terme, les scientifiques prévoient que la réaction de fusion elle-même produise le tritium nécessaire (grâce à la réaction entre les neutrons produits par la réaction et le lithium-6). En attendant, le JET bénéficie de systèmes de traitement capables d’extraire les ions tritium et deutérium non brûlés des gaz résiduels, après chaque essai, puis de les recycler.
Après plusieurs années de bons et loyaux services, le JET entamera son dernier cycle d’expérimentations, de la mi-2022 à la fin 2023, avant d’être définitivement mis hors service. « C’est l’expérience de fusion la plus réussie de tous les temps, mais il est temps de passer le relais à ITER », a déclaré Joe Milnes, responsable des opérations du JET.