Le bassin méditerranéen, le seul hot spot au monde comportant cinq régions climatiques, abrite un biome unique et exceptionnellement biodiverse. Rien qu’en nombre d’espèces de plantes vasculaires, il en recèle au moins quatre fois plus que tout le reste de l’Europe réuni. Ce qui en a fait pour ces derniers la destination estivale proche de chez soi la plus attrayante. Ce qui a alors entraîné un grand nombre d’activités humaines, transformant petit à petit les paysages et impactant dangereusement les écosystèmes natifs. Avertissant de ce danger, une récente étude fait une révélation alarmante : dans la région méditerranéenne, les sols se dégradent et les terres se désertifient plus rapidement que partout ailleurs en Europe.
Publiée dans Science Direct, l’étude a été menée par des chercheurs de l’Université de Stockholm, en Suède. Selon ce groupe d’experts, les pratiques foncières non durables, ajoutées au changement climatique, menacent particulièrement le capital naturel des sols en Méditerranée. Avec le réchauffement climatique, en effet, la croissance démographique, les changements dans les pratiques agricoles, et les différentes activités socio-économiques imposent de fortes pressions sur les sols de basse altitude de la région.
Quelques études antérieures ont d’ailleurs déjà été menées dans ce sens, mais elles se concentraient surtout sur les dégradations physiques et n’approfondissaient pas assez d’autres aspects, comme la dégradation biologique ou les différents facteurs liés à ces altérations. De plus, malgré les preuves d’une forte sensibilité de ces sols à la dégradation et à la désertification, la véritable ampleur en reste inconnue.
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L’étude des chercheurs suédois synthétise alors et identifie les lacunes concernant l’état, les causes et les conséquences des processus de dégradation des sols dans la région méditerranéenne européenne. Cette analyse est notamment essentielle pour les prises de décisions, pour mieux limiter et anticiper les impacts.
Des fonctions écologiques cruciales
Une publication de la Commission européenne sur la santé des sols fait part de l’estimation que près de 70% des sols en Europe perdait leur capacité à assurer des fonctions écologiques cruciales. Les sols de basses altitudes de la Méditerranée risquent encore plus, car ils sont plus sensibles à l’intrusion d’eau de mer, à l’érosion, à la sécheresse et aux feux de forêt. Il s’agit en effet de la région avec les taux d’érosion les plus élevés en Europe et les sols avec les niveaux les plus bas en matière organique.
L’urbanisation croissante et la grande fréquentation touristique ont conduit à des pratiques agricoles plus intenses, afin de satisfaire les besoins alimentaires. Et il faut ajouter à cela la mauvaise gestion des irrigations qui salinisent les sols et le développement des infrastructures. Cette dernière problématique réduit les zones tampon essentielles à l’infiltration des eaux de pluie pour éviter les grandes crues, qui érodent intensément et créent des glissements de terrain. Les pesticides et hydrocarbures contaminent également les sols en profondeur et génèrent un déséquilibre dans le fonctionnement naturel du sol.
Un sol contaminé ne peut alors plus assurer ses fonctions naturelles. Il est important de noter qu’à l’intérieur du sol, il existe tout un petit monde biologique qui contribue à rendre la terre fertile et « vivante ». Les vers de terre et les fourmis, par exemple, y régulent les nutriments pour que ces derniers soient bien absorbés par les racines des plantes. Or, les nématodes et nombreux insectes sont particulièrement sensibles aux pesticides et autres contaminants.
Les systèmes racinaires, quant à eux, sont de gigantesques complexes qui assurent des rôles structurels et physiques cruciaux, comme la capture du carbone atmosphérique. Ces mécanismes sont encore plus efficaces quand les bosquets ou forêts sont natifs et primaires. Alors, imaginez ce qui se passerait lors de labours et de défrichements répétés et à grande échelle…
Ces dégradations ont alors engendré des sols de plus en plus arides et de plus en plus salés. La Méditerranée, réputée pour ses tomates, ses raisins et ses olives, voit ses terres se désertifier chaque année et ses agriculteurs se déplacer, à la recherche de parcelles plus fertiles.
Une biodiversité menacée
En plus d’une baisse de productivité agricole qui menace la sécurité alimentaire, la désertification de la basse Méditerranée met en danger une biodiversité unique. Les différents facteurs cités plus haut ont en effet conduit à une grande fragmentation des habitats, et les végétations primaires ne subsistent plus qu’en petits bosquets et forêts épars. Le peu qui reste pousse même en partie sur des affleurements rocheux et est ainsi extrêmement vulnérable à l’expansion urbaine, qui se fait surtout sur les côtes dans la région méditerranéenne.
Il faut noter que les côtes de la Méditerranée connaissent l’une des plus grandes fréquentations touristiques au monde. Cette horde de touristes piétine et dégrade directement les écosystèmes de dunes et de calanques. Aujourd’hui, à peine 5% du hotspot abrite une végétation relativement intacte, ce qui place le bassin méditerranéen dans les 4 hotspots les plus altérés sur Terre.
En matière de biodiversité, il s’agit d’une des dernières zones au monde à abriter des lynx ibériques (Lynx pardinus), le félin le plus menacé du monde, en danger critique d’extinction selon l’UICN. Il n’y aurait plus que 200-250 individus dans la nature, dont une grande partie en Méditerranée. Cette espèce menacée, et de nombreuses autres, voient leur habitat se réduire chaque année.
Malgré ces faits plus que préoccupants, l’étude des chercheurs suédois est la première à passer en revue et à résumer l’état des sols en Méditerranée européenne. Elle souligne d’ailleurs qu’il n’existe toujours pas de législation européenne spécifique protégeant les sols ruraux contre l’urbanisation. La salinisation n’est pas non plus abordée dans les politiques spécifiques de l’UE, bien qu’un examen ait conclu qu’elle constituait une menace importante pour le sol.