À l’heure actuelle, beaucoup d’experts considèrent que l’antibiorésistance est l’un des problèmes sanitaires les plus urgents de notre génération. Elle menace de plus en plus de patients et constitue un véritable défi pour l’industrie pharmaceutique. L’avènement des antibiotiques a en effet permis de guérir toutes sortes de maladies, mais a aussi entraîné le développement de bactéries « superrésistantes » provoquant des pathologies toujours plus difficiles à traiter. Pour tenter de pallier ce problème, les experts mettent au point de nouvelles stratégies antibactériennes. Dans cet élan, une nouvelle étude a mis la main sur une piste intéressante : développer un traitement ciblant la protéine DsbA, qui joue un rôle clé dans l’activation de l’antibiorésistance chez les bactéries Gram négatives.
Au cours des milliers d’années de l’histoire de l’évolution des espèces, les bactéries ont évolué pour s’adapter à leur environnement, à l’instar de la plupart des êtres vivants sur Terre. Aujourd’hui, beaucoup d’entre elles ont évolué en « superbactéries » et développé une certaine antibiorésistance.
À savoir que, quand l’on prend des antibiotiques, beaucoup de bactéries sont éliminées et les symptômes de la maladie disparaissent. Cependant, malgré la guérison, certaines d’entre elles peuvent résister et survivre dans un environnement rendu hostile par le traitement antibiotique. Ces dernières ont ainsi évolué (ou muté) pour s’adapter à leur nouvel environnement, d’où l’appellation : superbactéries. Ces « mutantes » se reproduisent et se multiplient en transmettant leurs gènes de résistance. Plus la génération bactérienne est avancée, plus elle est susceptible d’être résistante, car les mutations utiles se perfectionnent et se collectionnent à chaque nouvelle population.
De plus, l’antibiorésistance est d’autant plus aggravée à mesure que l’accès aux antibiotiques est facilité. Leur prise doit être uniquement effectuée sur l’avis d’un professionnel de la santé, car l’automédication est un terrain d’entraînement idéal pour des générations entières de superbactéries. Or, pour diverses raisons, beaucoup n’obéissent pas forcément à cette règle. Cette automédication est très courante, surtout dans les pays en voie de développement où l’on n’a pas forcément les moyens de se payer les frais d’auscultation d’un médecin, ou bien ces médecins sont tout simplement absents dans les zones les plus enclavées. On s’y soigne avec les moyens du bord en s’administrant ce que l’on trouve.
La conception de nouveaux traitements peut être aussi efficace, mais à court terme, car les bactéries finissent par développer une résistance à ces derniers également. Dans une étude publiée dans eLife, des chercheurs de l’Université du Texas proposent une approche innovante. Leur nouvelle stratégie consiste à cibler et décomposer directement la protéine induisant la résistance, en amont. À terme, ce nouveau traitement pourrait peut-être rendre leur efficacité à des antibiotiques existants.
À noter que cette piste a déjà été explorée dans des études antérieures, car elle neutralise les protéines de résistance et compromet l’intégrité de l’enveloppe cellulaire. Mais la plupart de ces recherches se penchent sur des adjuvants qui ne sont efficaces que contre des protéines de résistance spécifiques, ce qui est limité en portée.
Ainsi, les chercheurs américains suggèrent un moyen plus fondamental pour désactiver la production de ces protéines de résistance. Leur traitement potentiel provoque un déséquilibre dans l’homéostasie protéique de l’enveloppe cellulaire et nuit simultanément à plusieurs classes de protéines, qui jouent des rôles déterminants dans la résistance bactérienne. « D’autres approches se concentrent sur l’inhibition des protéines de résistance, mais personne n’avait pensé à essayer d’empêcher leur formation en premier lieu », explique dans un communiqué Despoina Mavridou, auteure principale de l’étude et professeure assistante à l’Université du Texas.
Plus ciblé et plus efficace
Pour que l’antibiorésistance s’active, les protéines responsables doivent être repliées dans des formes très spécifiques. La DsbA est la première enzyme catalytique induisant ce repliement. En inhibant ce catalyseur, les chercheurs ont découvert que les bactéries étaient redevenues vulnérables aux antibiotiques, auxquels elles avaient auparavant résisté. L’efficacité du traitement a été prouvée sur E. coli, K. pneumoniae et P. aeruginosa. Ces dernières représentent une grande partie des infections de superbactéries.
Plus précisément, le nouveau traitement a altéré la formation de liaisons disulfures, qui est médiée par la DsbA. Ce qui neutralise diverses β-lactamases (d’autres enzymes responsables de la résistance) et déstabilise les enzymes de résistance spécifiques à la colistine mobile (un antibiotique peptidique). L’inhibition chimique de la DsbA peut sensibiliser aussi des populations isolées de bactéries multirésistantes aux antibiotiques existants.
Le groupe de chercheurs a également supprimé la DsbA chez des larves de fausses teignes de cire (Galleria mellonella) et leur a administré parallèlement des antibiotiques. Leur taux de survie a considérablement augmenté alors qu’elles avaient été infectées par P. aeruginosa multirésistant.
« Nos résultats montrent qu’en ciblant la formation de liaisons disulfure et le repliement des protéines, il est possible d’inverser la résistance aux antibiotiques de plusieurs agents pathogènes et mécanismes de résistance majeurs », conclut Christopher Furniss, co-auteur principal de l’étude et chercheur à l’Imperial College de Londres. « Cela signifie que le développement d’inhibiteurs de DsbA cliniquement utiles à l’avenir pourrait offrir une nouvelle façon de traiter les infections résistantes, en utilisant les antibiotiques actuellement disponibles », ajoute-t-il.