Depuis une vingtaine d’années, l’incidence du cancer du pancréas (dont l’adénocarcinome pancréatique est le type le plus courant) ne cesse de croître, notamment chez les femmes. Or, le pronostic du cancer du pancréas, souvent diagnostiqué tardivement, reste mauvais. À tel point que l’adénocarcinome pancréatique pourrait devenir la seconde cause de mortalité par cancer dans les années 2030-2040. C’est dans ce contexte que des scientifiques ont récemment détecté une molécule aux propriétés surprenantes et prometteuses. Cette dernière inhiberait la croissance et les métastases des cellules cancéreuses du pancréas par la voie du métabolisme du fer, élément essentiel à la croissance cellulaire. Cette découverte ouvre une nouvelle voie thérapeutique prometteuse.
Le pancréas est un organe plat situé dans l’abdomen, derrière l’estomac. Il est positionné dans une anse formée par le duodénum (première partie de l’intestin). Il est composé de deux types de cellules aux fonctions bien distinctes. D’un part, les cellules exocrines produisent des enzymes qui facilitent la digestion et sont déversés directement dans l’intestin via les canaux pancréatiques ; d’autre part, les cellules endocrines qui produisent de l’insuline, du glucagon et d’autres hormones importantes aidant le corps à absorber le sucre et à contrôler la glycémie. Ils agissent à « distance ».
C’est à partir de ces cellules exocrines, devenues anormales, que l’adénocarcinome canalaire pancréatique se développe, représentant 90% des formes du cancer du pancréas. Les 10% restants sont constitués par de nombreux types histologiques, qui sont plus rares, comme les ampullomes, les tumeurs neuroendocrines, les tumeurs kystiques…
Au niveau mondial, en 2020 le nombre de cas de cancer du pancréas est estimé à 495 773, tous âge et sexe confondus, avec un nombre de décès de 466 003 par an. Le cancer du pancréas est au quatrième rang des causes de décès liés au cancer dans le monde occidental.
Malgré une incidence toujours en hausse, peu de facteurs de risque ont clairement été identifiés dans la survenue de tumeurs pancréatiques. Le paramètre le plus important et pour lequel les preuves sont suffisantes est le tabagisme. D’autres facteurs de risques sont liés, de façon plus ou moins profonde, au développement de ce cancer, dont le diabète, l’obésité et la pancréatite chronique. Enfin, les altérations génétiques s’intégrant dans un syndrome génétique expliquent 10% des cas.
Des mutations limitant les traitements actuels
Actuellement, nous savons que le cancer, en règle générale, est causé par un changement, ou une lésion, s’étant produit dans un ou plusieurs gènes. Le cancer du pancréas ne fait pas exception. Les études précédentes ont relevé une fréquence élevée des mutations KRAS et TP53, constituant une caractéristique génétique unique. Sans mutation, le gène TP53 est un gène suppresseur de tumeur qui contrôle la croissance et la division des cellules. Ce gène envoie aussi des signaux à d’autres gènes pour aider à réparer l’ADN endommagé. Si l’ADN endommagé ne peut pas être réparé, le gène TP53 empêche la cellule de se diviser et enclenche la mort cellulaire (ou apoptose). Lorsque le gène TP53 subit une mutation, les cellules ayant un ADN endommagé se mettent à croître et à se diviser de façon désordonnée.
Sur le même schéma d’action, la mutation ponctuelle du gène KRAS confère un gain de prolifération non contrôlée à la cellule cancéreuse pancréatique qui acquiert, ainsi, un pouvoir oncogénique amplifié. Ces deux mutations rendent les tumeurs résistantes à la chimiothérapie. C’est pourquoi le taux de mortalité de ce cancer ne s’est pas beaucoup amélioré en trois décennies, associé, de plus, à un dépistage tardif et des métastases précoces.
Jusqu’à présent, la chirurgie est le seul traitement potentiellement curatif du cancer, mais elle n’est envisageable que lorsque la maladie a été diagnostiquée à un stade de développement précoce. La chirurgie suivie d’une chimiothérapie adjuvante est la norme de soins pour les tumeurs résécables, la survie moyenne chez ces patients est de 26 mois, avec une survie à 5 ans de 30%. Étant donné que les médicaments et les traitements ciblant les mutations KRAS et TP53 ne sont pas encore disponibles, la découverte des scientifiques du Roswell Park Comprehensive Cancer Center représente une percée significative dans le traitement du cancer du pancréas. L’étude est publiée dans la revue Molecular Cancer Therapeutics.
Utiliser la chimie du fer pour vaincre le cancer
Signalons d’abord que, récemment, des études ont montré l’existence de mécanismes spécifiques liés au fer, capables de « reprogrammer » certaines cellules, les rendant métastatiques et résistantes aux traitements conventionnels. Ainsi, ces cellules « persistantes » acquièrent un avantage clonal grâce au fer. Mais en même temps, la présence de fer dans ces cellules favorise certaines réactions chimiques, notamment l’apparition de lipides peroxydés ou d’acide dihomo-γ-linolénique. Si cette apparition n’est pas contrôlée, elle devient létale pour la cellule. On parle alors de mort par ferroptose. En d’autres termes, sous l’action du fer, ces cellules sont à la fois résistantes aux traitements conventionnels et à la fois plus vulnérables à la mort par ferroptose. Ce dernier est ainsi devenu un point central de la recherche sur le cancer.
Après ce constat, et sur la base d’études antérieures démontrant la prédisposition des cellules pancréatiques cancéreuses portant la mutation KRAS, à cette ferroptose, l’équipe de recherche a identifié une petite molécule anti-tumorale, la MMRi62. Dans un premier temps, ils ont révélé son action par rapport aux protéines MDM2 et MDM4. Celles-ci jouent un rôle non négligeable dans plusieurs types de cancer, car elles inhibent la réparation de l’ADN, médiée par la protéine suppressive de tumeur p53. En d’autres termes, la surexpression (forte production) de MDM2 et MDM4 inhibe la fonction de la p53, conduisant à une prolifération cellulaire non contrôlée et au cancer. Par conséquent, de petites molécules, comme la MMRi62, ayant une action antagoniste de celle de MDM2, empêchent sa fixation sur p53 en bloquant la zone de liaison, permettant de restaurer la fonction de cette dernière.
Par la suite, l’équipe de recherche a démontré que MMRi62 ciblait également le métabolisme du fer pour tuer les cellules cancéreuses. X. Wang, professeur au Département de Pharmacologie et de Thérapeutique à Roswell Park et co-auteur de l’étude, explique dans un communiqué : « Nous avons montré à travers cette étude que, dans un modèle préclinique, MMRi62 est capable d’induire une ferroptose dans les cellules [pancréatiques cancéreuses] hébergeant des mutations KRAS ou TP53, qui à leur tour inhibent la croissance tumorale et empêchent la métastase des tumeurs vers des organes distants ».
Bien qu’aucune molécule induisant la ferroptose ne soit actuellement disponible, la découverte de MMRi62 ouvre la voie à de nouveaux traitements prometteurs pour les cancers récalcitrants tels que le cancer du pancréas. Il est à noter que, très récemment, une équipe de l’institut Curie, en France, menée par Raphaël Rodriguez, a produit de nouveaux dérivés de produits naturels qui ciblent préférentiellement l’état métastatique des cellules cancéreuses pour induire la ferroptose. L’espoir de trouver un traitement curatif grandit.