Les vampires des abysses, des céphalopodes peuplant essentiellement les abysses, fascinent par leur étrange morphologie. Plutôt répandus mais peu étudiés, leurs plus lointains ancêtres auraient peuplé nos océans depuis le Carbonifère (il y a 359 à 299 millions d’années). De récentes études tentent alors d’en savoir plus sur le super-ordre des Vampyropodes. En étudiant de plus près un fossile de céphalopode exceptionnellement bien conservé, une récente recherche du Musée d’Histoire Naturelle de Manhattan (AMNH) a mis la main sur une étonnante découverte qui concerne peut-être le plus vieil ancêtre du vampire des abysses et du poulpe. Encore plus surprenant, le spécimen possède dix tentacules au lieu de huit, et repousse de près de 82 millions d’années l’âge du groupe. Une découverte qui change complètement la compréhension de l’évolution de ce groupe d’espèces.
Baptisé Syllipsimopodi bideni, le fameux spécimen a été nommé en l’honneur du dernier Président des États-Unis, Joe Biden. Le fossile a apparemment été initialement découvert dans les années 80, dans un Lagerstätte (dépôt sédimentaire contenant des fossiles très complets) à Bear Gulch, dans le Montana (États-Unis). Il a depuis été mis de côté, jusqu’à ce que des chercheurs de l’AMNH s’y intéressent et l’examinent de plus près.
Les scientifiques ont alors fait une découverte étonnante concernant le fossile du petit animal long d’environ 7 cm. « Il s’agit du premier et du seul vampyropode connu à posséder 10 appendices fonctionnels », affirme Christopher Whalen dans un communiqué, auteur principal de l’étude, chercheur postdoctoral en paléontologie à l’AMNH et boursier postdoctoral au département des sciences de la Terre et des planètes à Yale.
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On manque en effet cruellement d’archives sur les vampyropodes, car leur corps est essentiellement composé de tissus mous, qui ne se fossilisent pas facilement. Ce qui fait sûrement que ces espèces soient aussi peu étudiées. Elles sont aussi généralement caractérisées par huit bras et une coquille chitineuse intérieure et/ou des supports de nageoires.
De plus, l’horloge moléculaire de la lignée suggère que les vampyropodes sont apparus il y a 350 à 330 millions d’années. Or, le plus vieux spécimen précédemment connu est un fossile datant d’il y a environ 240 millions d’années. Les 10 bras fonctionnels et les 328 millions d’années de Syllipsimopodi bideni, changent ainsi complètement la donne.
Confirmation d’une théorie
D’après la nouvelle étude des chercheurs new-yorkais, les dix tentacules de Syllipsimopodi bideni étaient tous munis de ventouses. Ce qui en fait le plus ancien céphalopode connu à en développer. « Le nombre de bras est l’une des caractéristiques déterminantes séparant la lignée des calmars et des seiches à 10 bras (Decabrachia) de la lignée des poulpes à huit bras et des vampires des abysses (vampyropodes) », explique Whalen.
En effet, des études antérieures avaient déjà émis l’hypothèse selon laquelle l’ancêtre commun des vampyropodes possédait dix bras, car deux appendices vestigiaux sont visibles sur les spécimens fossilisés, qui en ont huit. Deux filaments ont donc été éliminés au cours de leur évolution. Toutefois, tous les vampyropodes fossiles anciennement découverts, et dont les appendices sont visibles, n’avaient que huit bras. Ainsi, le fossile de la nouvelle espèce « est sans doute la première confirmation de l’idée que tous les céphalopodes possédaient ancestralement dix bras », indique l’étude, publiée dans la revue Nature Communications.
Par ailleurs, deux des tentacules du céphalopode semblent plus longs par rapport aux autres, et son corps en forme de torpille est similaire à celui des calmars actuels. Selon les chercheurs, ces bras plus longs et dotés de ventouses permettaient à l’animal de mieux saisir ses proies. Il possédait aussi une sorte de glaive ainsi que des nageoires terminales. « Syllipsimopodi bideni a peut-être rempli une niche plus similaire aux calmars existants, un prédateur aquatique de niveau intermédiaire », affirme Neil Landman, co-auteur de l’étude et conservateur à l’AMNH. D’après l’expert, le petit animal serait probablement capable d’extraire de petits ammonoïdes de leurs coquilles ou de s’aventurer plus près des côtes pour s’attaquer aux brachiopodes, aux bivalves ou à d’autres animaux marins à carapace.
Quant à l’âge, les caractéristiques et la position phylogénétique de l’espèce, le fossile remet en question des hypothèses depuis longtemps émises sur les origines des vampyropodes. Parmi ces théories, le super-ordre descendrait d’un bélemnoïde phragmoteuthid du Trias (251 à 201,6 millions d’années). Les auteurs proposent alors un modèle différent d’évolution des coléoïdes (céphalopodes à coquille interne). Selon eux, les vampyropodes étaient caractérisés par la perte du phragmocône chambré et du rostre primordial, dès le Mississippien (358,9 à 323,2 millions d’années). Or, ces traits sont conservés chez les bélemnoïdes et de nombreux décabrachiens actuels. De plus, la paire de tentacules allongée, le long glaive et les nageoires, indiquent une morphologie presque similaire aux calmars d’aujourd’hui.