La sieste est généralement considérée comme bénéfique pour la santé : elle permet notamment de diminuer le stress, d’améliorer la concentration ou encore de réduire les risques de maladies cardiovasculaires. Passé un certain âge, les siestes diurnes se font de plus en plus fréquentes… et parfois même un peu trop fréquentes : dans le cadre d’une nouvelle étude, des chercheurs de l’Université de Californie à San Francisco ont en effet trouvé un lien entre les siestes diurnes excessives chez les personnes âgées et une augmentation du risque de démence due à Alzheimer.
Chez les personnes âgées, la sieste diurne ne servirait en théorie qu’à compenser un mauvais sommeil nocturne. Mais certaines études ont suggéré que la démence pouvait affecter les neurones favorisant l’éveil — et donc influer sur les habitudes de sommeil. Une équipe de l’UCSF a donc entrepris de vérifier si des changements observés dans la pratique de la sieste pouvaient être interprétés comme un signe précoce de démence.
« Nous avons constaté que l’association entre les siestes diurnes excessives et la démence persistait après ajustement en fonction de la quantité et de la qualité du sommeil nocturne », confirme Yue Leng, professeure au Département de psychiatrie et des sciences du comportement de l’UCSF et co-auteure de l’étude. Ses travaux de recherche montrent que la fréquence et la durée des siestes sont associées à un plus grand risque de développer la maladie d’Alzheimer, que la durée des siestes tend à augmenter après le diagnostic et donc, que la sieste diurne aurait un rôle bien particulier, indépendant du sommeil nocturne.
Une relation bidirectionnelle entre la sieste et la maladie
Dans le cadre de cette étude, les scientifiques ont suivi les habitudes de sieste d’un groupe de 1400 personnes âgées, dont certaines ont été suivies pendant 14 ans par le Rush Memory and Aging Project du Rush Alzheimer’s Disease Center à Chicago. Les participants, âgés de 81 ans en moyenne, étaient équipés pendant quelques jours par an d’un appareil mesurant leur mobilité — chaque période d’inactivité diurne prolongée étant interprétée comme une sieste.
Une fois par an, chaque participant était soumis à une série de tests neuropsychologiques pour évaluer leur niveau de cognition. Au début de l’étude, 75,7% des participants n’avaient aucune déficience cognitive, tandis que 19,5% présentaient déjà une déficience cognitive légère et 4,1% étaient atteints de la maladie d’Alzheimer.
Les chercheurs ont tout d’abord constaté que la durée de la sieste tend à augmenter après un diagnostic de déficience cognitive : les siestes quotidiennes ne se sont allongées que de 11 minutes par an chez les personnes qui n’ont montré aucune déficience ; en revanche, le taux d’augmentation a atteint 24 et 68 minutes respectivement, après un diagnostic de déficience cognitive légère ou de maladie d’Alzheimer.
La pratique excessive de la sieste peut-elle être considérée comme un potentiel signe avant-coureur de déclin cognitif ? Pour le vérifier, les chercheurs ont examiné les 24% de participants qui avaient une cognition normale au début de l’étude, mais qui ont développé la maladie d’Alzheimer six ans plus tard. En comparant leurs habitudes de sieste à celles des participants qui n’ont pas présenté de déclin cognitif, ils ont constaté que faire la sieste plus d’une heure par jour était associé à un risque 40% plus élevé de développer la maladie d’Alzheimer.
Fait intéressant : des siestes diurnes plus excessives (plus longues ou plus fréquentes) étaient corrélées à une détérioration de la cognition un an plus tard, et inversement, une détérioration de la cognition était corrélée à des siestes plus excessives un an plus tard, rapportent les chercheurs. « Les siestes diurnes excessives et la démence d’Alzheimer peuvent avoir une relation bidirectionnelle ou partager des mécanismes physiopathologiques communs », concluent-ils.
Un symptôme plus qu’une cause de déclin mental
Pour Yue Leng, ces résultats ne sont guère surprenants : dans une étude publiée en 2019 dans Alzheimer’s & Dementia, menée sur plus de 2700 hommes âgés, elle avait d’ores et déjà montré que ceux qui faisaient la sieste pendant au moins 2 heures par jour étaient 66% plus susceptibles de développer des troubles cognitifs que ceux qui faisaient une sieste de moins de 30 minutes par jour. « La sieste pourrait être utile comme marqueur précoce de troubles cognitifs chez les personnes âgées, et ses effets cognitifs peuvent différer selon le sommeil nocturne », concluait-elle à l’époque avec son équipe.
Pourquoi la maladie d’Alzheimer influe-t-elle sur la fréquence et la durée des siestes ? Il semblerait que la maladie affecte en particulier les neurones liés à l’état d’éveil. En effet, une étude dirigée par une autre équipe de l’UCSF avait mis en évidence certaines différences structurelles entre les cerveaux post-mortem d’individus atteints de la maladie d’Alzheimer et d’individus sains : les personnes malades possédaient moins de neurones favorisant l’éveil dans trois régions du cerveau — des changements neuronaux qui semblent être liés aux enchevêtrements de la protéine tau, selon les chercheurs.
Sur la base de ces études passées, les nouveaux résultats obtenus par Yeng et ses collègues suggèrent que l’excès de sieste diurne pourrait être un signe de vieillissement accéléré ou d’un processus de vieillissement cognitif. Mais si la sieste et la maladie d’Alzheimer apparaissent étroitement liées, il ne faut surtout pas en conclure que trop de siestes entraîne nécessairement un déclin cognitif, souligne la scientifique : « Je ne pense pas que nous ayons suffisamment de preuves pour tirer des conclusions sur une relation causale », précise-t-elle.