Des chercheurs du Centre d’astrophysique Harvard & Smithsonian, du MIT et du Max Planck Institute for Astrophysics ont créé des simulations de haute résolution retraçant l’évolution de l’Univers juste après le Big Bang, incluant la formation des toutes premières galaxies et la réionisation — un processus survenu il y a environ 13 milliards d’années, qui a transformé le cosmos en un environnement rayonnant et lumineux. Ces images, illustrant la formation d’un million de galaxies, sont impressionnantes.
Ces simulations ont été réalisées dans le cadre du projet THESAN — du nom de la déesse de l’aube dans la mythologie étrusque, pour symboliser l’aube de l’Univers ; ce projet s’intéresse en effet à l’époque de la réionisation, où les atomes d’hydrogène ont été ionisés par le rayonnement des toutes premières étoiles et galaxies. L’objectif étant d’étudier les connexions entre les galaxies et le milieu intergalactique tout au long de cette période — un tournant dans notre univers, qui est dès lors passé de l’obscurité totale à la lumière.
Le projet se compose d’une série de simulations magnétohydrodynamiques de rayonnement à grand volume, qui modélisent tout le processus de réionisation et les galaxies qui en sont responsables avec une fidélité physique sans précédent. Avec THESAN, les chercheurs peuvent simuler une partie de notre univers couvrant plus de 300 millions d’années-lumière. Il est possible de faire avancer la simulation dans le temps pour suivre et visualiser la première apparition de galaxie et l’évolution de centaines de milliers de galaxies dans cet espace, à partir d’environ 400 000 ans après le Big Bang et tout au long du premier milliard d’années.
Un modèle qui tient compte de la lumière des étoiles
La période de réionisation est particulièrement difficile à reconstituer : elle implique des interactions chaotiques extrêmement compliquées, y compris celles entre la gravité, le gaz et le rayonnement, ou la lumière. « Les échelles d’espace et de temps sont trop grandes, donc la seule façon de faire des expériences est sur les ordinateurs », explique Rahul Kannan, astrophysicien au Centre Harvard & Smithsonian et co-auteur du premier article de la série publiée dans The Monthly Notices of the Royal Astronomical Society.
C’est donc la première fois qu’une simulation de l’Univers primitif concerne un si grand volume et révèle autant de détails sur les propriétés des premières galaxies et sur l’impact de la lumière de ces galaxies sur le gaz. Les simulations mettent en évidence le basculement progressif de l’Univers, de l’obscurité complète à la lumière. « [L’univers primitif était] un cosmos neutre et sombre qui est devenu brillant et ionisé lorsque la lumière a commencé à émerger des premières galaxies », résume Aaron Smith, de l’Institut Kavli d’astrophysique et de recherche spatiale du MIT et co-auteur de l’étude.
« La simulation phare a des résolutions de matière noire et de masse baryonique de 3,1×106 et 5,8×105 masses terrestres, respectivement », précisent les chercheurs. Pour parvenir à ce résultat, les chercheurs ont combiné un modèle réaliste de formation de galaxies (qu’ils avaient précédemment développé) avec un nouvel algorithme permettant d’intégrer la façon dont la lumière des galaxies et des étoiles interagit avec le gaz environnant et le réionise — un processus complexe, jamais simulé à si grande échelle. L’équipe a également inclus un modèle préliminaire de poussière cosmique, qui vise à décrire comment de minuscules grains de matière ont influencé la formation des galaxies.
Du point de vue matériel, ils se sont appuyés sur l’un des plus grands supercalculateurs au monde, le SuperMUC-NG, conçu par Lenovo et hébergé au Leibniz Rechenzentrum, à Munich. À titre de comparaison, les mêmes simulations réalisées sur un ordinateur classique auraient nécessité près de 3500 ans de temps de calcul !
Des simulations bientôt comparées à la réalité
Les premières analyses de ces simulations suggèrent que vers la fin de la réionisation cosmique, la distance que la lumière a pu parcourir a augmenté de façon spectaculaire, bien plus que les scientifiques ne l’avaient supposé auparavant. « [Au début de l’univers] cette distance est très petite, et ne devient grande qu’à la toute fin de la réionisation, augmentant d’un facteur 10 en quelques centaines de millions d’années », précise Kannan dans un communiqué du MIT. Les chercheurs ont également noté que la contribution des galaxies à la réionisation semble dépendre de leur masse.
À noter que ces simulations ont été en partie réalisées pour accompagner les futures observations des télescopes nouvelle génération, dont James Webb — qui devrait commencer à scruter l’Univers dès cet été. L’engin a en effet été conçu pour observer l’univers primitif, pouvant remonter jusqu’à 13,5 milliards d’années environ. Grâce aux simulations informatiques, les scientifiques seront à même d’interpréter plus facilement les observations et les données réelles relayées par le télescope. Elles aideront surtout à placer les observations dans leur contexte cosmique.
Et inversement, l’équipe espère que les découvertes du James Webb leur permettront d’enrichir encore leurs modèles pour des simulations toujours plus détaillées. « Nous avons développé des simulations basées sur ce que nous savons. Mais alors que la communauté scientifique a beaucoup appris ces dernières années, il y a encore pas mal d’incertitude, surtout en ces temps anciens où l’Univers était très jeune », explique Kannan.
Dans tous les cas, les membres du projet THESAN sont véritablement impatients de comparer leurs modèles à la réalité. « Soit nos simulations et notre modèle THESAN concordent avec ce que JWST trouve, ce qui confirmerait notre vision de l’Univers, soit il y aura un désaccord important montrant que notre compréhension de l’univers primitif est erronée », souligne Mark Vogelsberger, professeur agrégé de physique au MIT et co-auteur de l’étude.