En utilisant un logiciel de reconnaissance faciale, des fonctionnaires ukrainiens de plusieurs agences gouvernementales ont effectué des scans pour identifier les corps de soldats russes. Quelques centaines de familles russes auraient ainsi été contactées et averties du décès de leur proche, photographies à l’appui.
582 familles auraient à ce jour été contactées, selon l’IT Army of Ukraine, un groupe de hackers qui s’est formé sur un appel du gouvernement ukrainien. 8600 reconnaissances faciales ont été lancées, par quelque 340 fonctionnaires ukrainiens d’agences gouvernementales, tels que la Police nationale ou le ministère de la Défense, qui ont eu accès gratuitement à cet outil : Clearview AI.
C’est le Washington Post qui a publié, le 15 avril dernier, une enquête sur cette pratique. Ce geste est présenté par ceux qui le perpètrent comme « un moyen brutal, mais efficace d’attiser la dissidence en Russie, de décourager les autres combattants et d’accélérer la fin d’une guerre dévastatrice ». Une pratique qui se répand, si l’on en croit le responsable de Clearview, Hoan Ton-That, qui affirme recevoir de plus en plus de demandes d’accès à l’outil. « Ils sont tellement enthousiastes », affirme-t-il ainsi : « Leur énergie est vraiment élevée. Ils disent qu’ils vont gagner, à chaque appel ».
L’idée serait donc de contrer la propagande russe en convainquant directement les familles de la violence du conflit et de la nécessité d’y mettre fin. Pas certain, cependant, que la violence psychologique de la méthode atteigne ses objectifs. « La solidarité de l’Occident avec l’Ukraine rend tentant de soutenir un acte aussi radical conçu pour capitaliser sur le chagrin familial », explique ainsi Stephanie Hare, chercheuse en surveillance à Londres, au Washington Post. « Mais contacter les parents des soldats est une ‘guerre psychologique classique’ et pourrait établir une nouvelle norme dangereuse pour les conflits futurs. Si c’était des soldats russes qui faisaient ça avec des mères ukrainiennes, on pourrait dire : ‘Oh, mon Dieu, c’est barbare’. Et est-ce que ça marche vraiment ? Ou est-ce que ça leur fait dire : ‘Regardez ces Ukrainiens sans lois et cruels, qui font ça à nos garçons ?’ ».
Des images traumatisantes
La société qui développe cette application de reconnaissance faciale a proposé ses services pour la première fois au ministère de la Défense ukrainien, après avoir vu que la propagande russe niait la capture de soldats russes. À l’origine, ce système était déployé aux États-Unis, par les services de police ou d’investigation, pour trouver des correspondances avec des suspects ou des témoins dans des enquêtes. Cependant, quelque 10% de la base de données de Clearview est composée d’images provenant du réseau social russe VKontakt, d’où la présence de beaucoup de données sur les soldats russes.
Elle aurait aussi été utilisée pour confirmer l’identité de personnes aux points de contrôle militaires, afin de vérifier s’il n’y avait pas de soldats russes infiltrés, ou saboteurs. Des pilleurs de maisons ukrainiennes, revendant des biens, auraient aussi pu être identifiés.
Hoan Ton-That défend son outil en affirmant qu’il pourrait décourager des soldats de commettre des crimes de guerre, la peur d’être reconnu et dénoncé aidant. Sur le groupe Telegram de l’IT Army of Ukraine, on trouve aussi une vidéo expliquant et défendant les envois de photos aux familles. Le créateur de la vidéo y dénonce les violences de la guerre et invite les familles des soldats russes à se soulever pour y mettre fin : « la première guerre en Tchétchénie fut arrêtée par les mères russes. Arrêtez dès maintenant d’envoyer vos enfants à la mort », conclut-elle.
Pourtant, d’autres actions similaires, comme des publications sur les réseaux sociaux de vidéos montrant des prisonniers de guerre, auraient plutôt été perçues comme une provocation, selon un expert de la sécurité nationale interrogé par le Washington Post. Il faut aussi noter que la technologie de reconnaissance faciale n’est pas infaillible, et pourrait donner lieu à de tragiques erreurs.