La légalisation de la consommation de cannabis, qu’elle soit à visée médicale ou récréative, est un débat de longue date en France. Mais ce n’est pas sans raison : des chercheurs de l’Université de Stanford ont montré que le principal constituant psychoactif du cannabis, le THC, entraîne une inflammation des cellules endothéliales et l’apparition d’athérosclérose. Les personnes qui consomment régulièrement de la marijuana ont donc un risque accru de développer une maladie cardiovasculaire. Les scientifiques ont néanmoins trouvé une molécule capable d’éliminer ces effets secondaires indésirables.
À l’heure actuelle, peu de pays dans le monde autorisent le cannabis à usage récréatif, mis à part le Canada, quelques États américains, le Mexique et l’Uruguay. En revanche, de plus en plus de pays, y compris en Europe, autorisent (ou tolèrent) sa consommation à des fins médicales. En effet, le tétrahydrocannabinol ou THC a pour effet de stimuler l’appétit, d’atténuer la douleur et de calmer les nausées — des propriétés quasiment vitales pour les personnes souffrant de douleurs chroniques et/ou sous traitement lourd, qui en consomment pour améliorer leur qualité de vie.
Ceci n’est cependant pas sans risque. « Alors que de plus en plus d’États légalisent l’usage récréatif de la marijuana, les utilisateurs doivent être conscients qu’elle peut avoir des effets secondaires cardiovasculaires », a déclaré Joseph Wu, professeur de médecine cardiovasculaire et de radiologie, et directeur du Stanford Cardiovascular Institute. Son équipe et lui ont toutefois identifié une molécule qui pourrait limiter ces effets cardiovasculaires indésirables sans pour autant ôter au THC les effets « positifs » qu’il induit sur le système nerveux central. Les résultats de leurs recherches viennent de paraître dans la revue Cell.
Un risque élevé de subir une crise cardiaque avant l’âge de 50 ans
Dans le cadre de leur étude, Wu et ses collègues ont analysé les données génétiques et médicales d’environ 500 000 personnes âgées de 40 à 69 ans, enregistrées dans la base UK Biobank — une étude à long terme initiée en 2006, qui vise à déterminer les contributions respectives de la prédisposition génétique et de l’exposition environnementale au développement des différentes maladies. Près de 35 000 participants ont déclaré avoir fumé du cannabis, dont 11 000 en consommaient plus d’une fois par mois.
Les chercheurs ont remarqué que ces fumeurs réguliers étaient significativement plus susceptibles que les autres participants à l’étude d’avoir une crise cardiaque (ceci en tenant compte d’autres facteurs tels que l’âge, le sexe et l’indice de masse corporelle). Plus précisément, les données ont révélé que les fumeurs réguliers de marijuana étaient plus susceptibles que les non-consommateurs de subir une crise cardiaque avant l’âge de 50 ans. Or, un infarctus prématuré augmente le risque d’insuffisance cardiaque, d’arythmie et d’infarctus ultérieurs.
Après avoir analysé le sang de volontaires invités à fumer une cigarette de marijuana, l’équipe a par ailleurs noté que les niveaux de molécules inflammatoires augmentaient considérablement au cours des trois heures suivantes. L’inflammation des vaisseaux sanguins est l’une des caractéristiques principales de l’athérosclérose, une maladie qui se caractérise par le dépôt progressif de plaques de lipides sur la paroi des artères ; à la longue, ces dépôts peuvent réduire voire bloquer la circulation sanguine (on parle alors d’ischémie), occasionner des lésions artérielles, ou même entraîner la rupture du vaisseau. De graves complications peuvent découler de l’athérosclérose, telles qu’un infarctus ou un AVC.
Pour confirmer leur hypothèse, les chercheurs ont mené une expérience sur des cellules endothéliales (qui tapissent l’intérieur des vaisseaux sanguins) cultivées en laboratoire : ils ont constaté que l’exposition au THC causait une inflammation et un stress oxydatif dans ces cellules. En parallèle, l’équipe a également mené une expérience sur des souris nourries avec une alimentation riche en graisses (de manière à augmenter leur taux de cholestérol). Certaines d’entre elles ont subi des injections de THC à des niveaux équivalents à la consommation d’une cigarette de marijuana par jour : elles ont développé des plaques d’athérosclérose beaucoup plus grandes que les souris témoins.
Protéger les consommateurs de cannabis médical
Alors que de plus en plus d’États américains légalisent la consommation de marijuana, les experts sont inquiets : « Je m’attends à ce que nous commencions à voir une augmentation des crises cardiaques et des accidents vasculaires cérébraux dans les années à venir », a déclaré Mark Chandy, chercheur au Stanford Cardiovascular Institute et co-auteur de l’étude.
Le THC se lie à un récepteur cannabinoïde appelé CB1, qui est exprimé principalement par les cellules du cerveau, mais aussi dans le cœur et le système vasculaire. Ce récepteur est impliqué dans une variété de processus physiologiques, notamment l’appétit, la sensation de douleur, l’humeur et la mémoire. Mais une exposition trop fréquente au THC entraîne une suractivation du récepteur CB1, qui peut donc déclencher une inflammation. De ce fait, les scientifiques recherchent depuis longtemps une molécule antagoniste capable d’inhiber l’hyperactivité de ce récepteur. Les antagonistes testés jusqu’à présent se sont malheureusement accompagnés de troubles psychiatriques indésirables, en particulier de l’anxiété et des troubles de l’humeur (car ils bloquaient en même temps son effet sur le cerveau).
Grâce à l’apprentissage automatique, Wu et son équipe ont passé au crible une vaste base de données moléculaires pour identifier des structures protéiques similaires aux antagonistes précédemment testés, et ont découvert une candidate idéale : la génistéine, une molécule que l’on trouve dans un certain nombre de plantes, telles que le soja, les fèves ou les lupins. La génistéine est connue pour ses propriétés antioxydantes et pour son effet protecteur contre l’inflammation vasculaire. Il se trouve que cette molécule se lie bien au récepteur CB1, mais pénètre mal dans le cerveau.
Administrée aux souris sous THC et ajoutée aux cultures de cellules endothéliales traitées au THC, la génistéine a eu l’effet escompté : les effets cardiovasculaires ont été éliminés, tandis que les effets analgésiques ou sédatifs ont été préservés. « La génistéine est donc potentiellement un médicament plus sûr que les antagonistes CB1 précédents. Elle est déjà utilisée comme complément alimentaire, et 99% d’entre elles reste en dehors du cerveau », souligne Chandy. L’équipe prévoit désormais de mener des essais cliniques pour vérifier et évaluer la capacité de la génistéine à réduire le risque de maladie cardiovasculaire chez les consommateurs de cannabis.