Des chercheurs ramènent à la vie des cellules oculaires humaines, et changent notre vision de la mort

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| Université de l'UTAH
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Les efforts de recherche sur les maladies de l’œil humain et le fonctionnement neuronal sont entravés par le fait que ces organes se dégradent rapidement après la mort. De plus, les yeux des animaux sont tout de même différents des nôtres. Pour y remédier, une équipe internationale de chercheurs a mis au point une nouvelle méthode pour « ramener à la vie » des rétines prélevées sur des donneurs, 5h après leur mort. Cette prouesse technique permettra de nouvelles études sur le fonctionnement de l’œil humain, du système nerveux, mais aussi concernant l’allongement de la durée de vie des organes à greffer. Ce succès offre également de nouvelles perspectives pour le traitement des maladies neurodégénératives, dont la dégénérescence maculaire liée à l’âge.

La mort est définie comme l’arrêt irréversible de l’activité circulatoire, respiratoire ou cérébrale. De nombreux organes humains périphériques peuvent être transplantés à partir de donneurs décédés en utilisant des protocoles pour optimiser la viabilité. Cependant, les tissus du système nerveux central et de certains organes associés, à l’image des yeux, perdent rapidement leur viabilité après l’arrêt de la circulation, entravant leur potentiel de transplantation. En effet, des milliards de neurones du système nerveux central transmettent des informations sensorielles sous forme de signaux électriques ; dans l’œil, des neurones spécialisés appelés photorécepteurs détectent la lumière. Ces cellules meurent rapidement après l’arrêt du cœur. Néanmoins, l’évolution temporelle et les mécanismes provoquant la mort neuronale, ainsi que le potentiel de réactivation, restent mal définis.

Afin de mieux comprendre la façon dont les cellules nerveuses succombent à un manque d’oxygène induit par l’arrêt de l’activité circulatoire générale, une équipe de chercheurs américains et suisses a utilisé la rétine comme modèle du système nerveux central. Ils ont mesuré l’activité des cellules rétiniennes murines (de souris) et humaines, peu après leur mort, et ont développé de nouvelles méthodes pour les ramener à la vie. Leurs travaux sont publiés dans la revue Nature.

Rétablir la communication cellulaire après la mort

Pour atteindre leur objectif, la professeure agrégée de recherche Scripps, Anne Hanneken, a pu fournir plus de 40 yeux issus de donneurs d’organes, en moins de 20 minutes à compter du décès. Frans Vinberg du Moran Eye Center a, quant à lui, conçu une unité de transport spéciale pour restaurer l’oxygénation et d’autres nutriments dans les yeux du donneur, ainsi qu’un appareil pour stimuler la rétine et mesurer l’activité électrique de ses cellules. L’équipe a donc procédé en deux temps.

En premier lieu, les chercheurs ont démontré le déclin rapide de la signalisation neuronale et identifié les conditions nécessaires à la réanimation potentielle des cellules oculaires in vivo chez la souris, après la mort, et au niveau de la rétine humaine. Dans un deuxième temps, ils ont mesuré les réponses induites par la lumière dans les photorécepteurs maculaires humains des yeux, prélevés chez les donneurs, jusqu’à 5h après leur mort. Ils ont alors pu identifier les facteurs modifiables entraînant une perte réversible et irréversible de la signalisation lumineuse après la mort.

Alors que les premières expériences ont ravivé les photorécepteurs, les cellules semblaient avoir perdu leur capacité à communiquer avec d’autres cellules de la rétine. L’équipe a identifié la privation d’oxygène comme le facteur critique menant à cette perte de communication.

Fatima Abbas, du Moran Eye Center et auteure principale de l’étude, explique dans un communiqué : « Nous avons pu réveiller des cellules photoréceptrices dans la macula humaine, qui est la partie de la rétine responsable de notre vision centrale et de notre capacité à voir les détails fins et la couleur. Dans les yeux obtenus jusqu’à cinq heures après la mort d’un donneur d’organes, ces cellules ont répondu à une lumière vive, à des lumières colorées et même à des éclairs de lumière très faibles ».

Grâce à leur approche novatrice pour maintenir les cellules oxygénées pendant de plus longues périodes — allongeant la durée pendant laquelle la rétine et les cellules neuronales peuvent survivre —, l’équipe a pu restaurer un signal électrique spécifique observé dans les yeux vivants, « l’onde b ». Cette dernière témoigne d’une communication entre toutes les couches de cellules maculaires qui nous permettent de voir. Ici, il s’agit du premier enregistrement post-mortem d’onde b, réalisé à partir du centre d’une rétine humaine. Néanmoins, ce retour temporaire d’une activité des cellules rétiniennes ne signifie pas que les globes oculaires du donneur pourraient « voir ». Des centres visuels supérieurs dans le cerveau sont nécessaires pour raviver le processus complet de la vision.

Frans Vinberg déclare : « Nous avons pu faire en sorte que les cellules rétiniennes communiquent, comme elles le font dans l’œil vivant pour médier la vision humaine. Des études antérieures ont restauré une activité électrique très limitée dans les yeux des donneurs d’organes, mais cela n’a jamais été réalisé dans la macula, et jamais dans la mesure où nous l’avons maintenant démontré ».

Aux vues de ces résultats, certains experts remettent en question la nature irréversible de la mort dans le système nerveux central. Effectivement, s’il est possible de conserver certains organes du corps humain en vue d’une transplantation, le système nerveux central cesse de fonctionner bien trop rapidement pour qu’il puisse être « récupéré », dans la perspective d’une greffe. Néanmoins, tous les éléments constitutifs de notre système nerveux ne meurent pas à la même vitesse, des mécanismes de « survie » s’instaurent parfois pour quelque temps, le concept de mort est alors plus complexe. Dans ce contexte, les prouesses décrites dans l’article permettraient d’y voir plus clair (sans mauvais jeu de mots) et d’indiquer de nouvelles possibilités en matière d’avancées médicales.

Étudier les maladies neurodégénératives

Le processus démontré par l’équipe pourrait donc être utilisé afin d’étudier d’autres tissus neuronaux du système nerveux central. Cela aiderait les chercheurs à mieux comprendre les maladies neurodégénératives, y compris les maladies rétiniennes cécitantes telles que la dégénérescence maculaire liée à l’âge.

De plus, des thérapies potentielles pourront être testées sur des cellules oculaires humaines fonctionnelles, permettant d’accélérer le développement de traitements, sans recours à des animaux de laboratoire. En effet, Frans Vinberg souligne que cette approche peut réduire les coûts de recherche par rapport aux travaux sur les primates non humains et la dépendance à l’égard de modèles animaux, produisant des résultats ne s’appliquant pas toujours à l’Homme. Par exemple, bien que les souris soient couramment utilisées dans la recherche sur la vision, elles n’ont pas de macula, contrairement à nous.

Par ailleurs, Ann Hanneken déclare que ces découvertes aideront, de manière certaine, à produire des patchs viables de tissu rétinien humain pour traiter les maladies cécitantes. Elle explique : « Jusqu’à présent, il n’a pas été possible de faire communiquer les cellules de toutes les différentes couches de la rétine centrale entre elles comme elles le font normalement dans une rétine vivante. À l’avenir, nous pourrons utiliser cette approche pour développer des traitements visant à améliorer la vision et la signalisation lumineuse dans les yeux atteints de maladies maculaires, telles que la dégénérescence maculaire liée à l’âge ».

Finalement, cette étude rejoint un corpus scientifique portant sur la nature irréversible ou non de la mort. En 2018, des chercheurs de l’Université de Yale avait réussi à « raviver » un cerveau de porc, 4h après sa mort, sans toutefois pourvoir rétablir l’activité neuronale globale. La procédure avait suivi le même schéma opératoire, c’est-à-dire le rétablissement de la circulation sanguine, permettant les apports en oxygène et nutriments indispensables. Les données recueillies par Abbas et al. pourraient fournir de précieuses clés de compréhension aux futures expérimentations post-mortem.

Source : Nature

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