Après avoir créé le premier réseau quantique multinœud, des physiciens néerlandais de l’Institut de recherche QuTech ont montré pour la première fois que les informations quantiques peuvent être téléportées de manière fiable entre des nœuds de réseau qui ne sont pas directement connectés les uns aux autres.
Les futures applications de l’Internet quantique tireront leur puissance de la possibilité de partager des informations quantiques (soit des qubits) à travers le réseau. Cela permettra toutes sortes d’applications, telles que le partage sécurisé d’informations, la liaison de plusieurs ordinateurs quantiques pour augmenter leur capacité de calcul, ou encore l’utilisation de capteurs quantiques liés de haute précision. Les nœuds d’un tel réseau quantique sont constitués de petits processeurs quantiques.
Ces derniers peuvent être reliés par des fibres optiques ordinaires, mais les pertes de photons dans les fibres (notamment sur de longues distances) limitent la qualité ou la fidélité de la connexion. Or, lorsqu’un photon est perdu, l’information quantique qu’il porte l’est également. La téléportation quantique offre le meilleur moyen de transférer de manière fiable des informations quantiques entre des nœuds distants, même en présence de connexions réseau à fortes pertes. Mais jusqu’à présent, personne n’avait réussi à échanger des informations quantiques entre deux nœuds qui n’étaient pas directement liés l’un à l’autre au sein du réseau.
Une téléportation à trois étapes
Comme on peut l’imaginer, avec la téléportation quantique, le qubit disparaît du côté de l’émetteur pour apparaître du côté du récepteur, sans traverser l’espace intermédiaire — il n’y a donc aucune chance qu’il soit perdu. La téléportation nécessite toutefois de disposer d’un lien intriqué quantique entre l’émetteur et le récepteur, d’une méthode fiable de lecture des processeurs quantiques et d’une capacité de stockage temporaire des qubits.
En 2021, la même équipe de chercheurs était parvenue, pour la première fois au monde, à créer le premier réseau quantique à trois nœuds (un réseau connectant trois processeurs quantiques). Ces nœuds se trouvaient à une certaine distance, dans le même bâtiment ; l’un d’eux (appelé Bob) avait une connexion physique (par fibre optique) avec les deux autres (Alice et Charlie), ce qui lui a permis d’établir des liens d’intrication avec chacun d’eux (chaque nœud disposant d’un qubit de communication). Bob était doté d’un qubit supplémentaire servant de mémoire — il lui était possible de stocker un lien quantique précédemment généré pendant qu’un nouveau lien était en train de s’établir.
Après avoir établi les liens quantiques Alice-Bob et Bob-Charlie, un ensemble d’opérations quantiques ont permis de créer un lien quantique Alice-Charlie. Les chercheurs de QuTech avaient établi une intrication entre les trois nœuds et avaient démontré qu’il était possible de téléporter des qubits entre deux nœuds adjacents. Cette fois-ci, ils ont réalisé pour la première fois une téléportation entre des nœuds non adjacents : ils ont téléporté des qubits du nœud Charlie au nœud Alice, grâce au nœud intermédiaire Bob.
Ceci a nécessité trois étapes. Tout d’abord, il a fallu établir une intrication quantique entre Alice et Charlie, comme expliqué ci-dessus. Puis, il a fallu créer le qubit à téléporter. Vient enfin l’étape de la téléportation de Charlie à Alice : les chercheurs ont effectué une mesure conjointe du qubit de Charlie (l’expéditeur) et de sa moitié de l’état intriqué (Alice ayant l’autre moitié). Cette mesure a provoqué la téléportation de l’état quantique du qubit, soit la disparition de l’information du côté de Charlie et son apparition immédiate du côté d’Alice (le récepteur).
Une procédure à haute fidélité
À noter que l’état quantique est apparu sous forme chiffrée au niveau d’Alice : la clé de chiffrement est déterminée par le résultat de la mesure de Charlie. Charlie envoie donc le résultat de la mesure à Alice, après quoi Alice peut déchiffrer le qubit. Ceci fait, l’information quantique peut être utilisée. Les chercheurs rapportent qu’Alice a pu récupérer l’état quantique avec une fidélité de 71%. L’expérience est résumée dans cette vidéo proposée par QuTech :
Pour réussir cette téléportation, les chercheurs ont amélioré leur dispositif expérimental sur plusieurs points, à commencer par le système de détection. Auparavant, les signaux indiquant l’intrication provenaient des mêmes photodétecteurs que ceux qui détectaient les photons utilisés pour cette intrication — ce qui pouvait conduire à de faux signaux. Cette fois-ci, l’équipe a mis en place un chemin de détection supplémentaire pour écarter ces faux signaux d’annonce. Ils ont également amélioré la procédure de lecture des qubits, et mis en place une protection active des qubits de mémoire pendant la génération de l’enchevêtrement.
L’équipe prévoit à présent d’augmenter le nombre de qubits de mémoire, afin d’exécuter des protocoles plus complexes, rapporte Physics World. Il est également prévu de faire fonctionner le système en dehors du laboratoire, notamment via les fibres optiques du réseau réel.
Les recherches ultérieures viseront quant à elles à inverser les étapes 1 et 2 du protocole de téléportation, ce qui signifie que l’équipe va tenter de créer d’abord le qubit à téléporter avant de préparer le téléporteur à effectuer la téléportation. Ceci s’avère particulièrement difficile, car l’information quantique à téléporter devra être stockée pendant que l’intrication est faite. Cette approche présente néanmoins un avantage considérable, car dans ce cas, la téléportation peut être effectuée entièrement « à la demande », expliquent les chercheurs.