La perte de glace de mer arctique due au changement climatique menace sérieusement la survie des ours polaires, qui sont répartis dans toute la région circumpolaire. Des modèles climatiques suggèrent que plusieurs parties de l’Arctique pourraient rester exemptes de glace pendant plus de cinq mois d’ici 2050. Ceci entraînerait un jeûne prolongé parmi les populations d’ours, augmentant la famine et nuisant à leur reproduction. Une sous-population d’ours polaires récemment découverte apporte cependant un nouvel espoir quant à l’avenir de l’espèce.
Les ours polaires sont protégés depuis 1973 par un accord international conclu entre les nations de l’Arctique, à savoir la Russie, les États-Unis, le Danemark, la Norvège et le Canada. Ce fut l’un des premiers accords internationaux sur la faune. Les populations d’ours étaient à l’époque en déclin rapide à cause de la chasse sportive. Aujourd’hui, ce mammifère est menacé par le changement climatique, qui entraîne la fonte massive des glaces de la banquise arctique. Il a intégré la Liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) en 2015, en tant qu’espèce vulnérable.
La plupart des ours polaires dépendent en effet de la glace de mer pour chasser les phoques, de sorte que les réductions actuelles et prévues de la présence et de la persistance de cette glace sont susceptibles d’avoir des répercussions majeures sur leur survie. Mais contre toute attente, une équipe de scientifiques a découvert une sous-population d’ours polaires jusque-là inconnue, établie au sud-est du Groenland, où la glace de mer se fait encore plus rare. Cette moindre dépendance à la glace de mer suggère que l’animal a su s’adapter à cet environnement.
Arborez un message climatique percutant 🌍
Une 20e sous-population d’ours polaires complètement isolée
À l’heure actuelle, 19 unités de sous-population d’ours polaires sont reconnues par le Polar Bear Specialist Group de l’UICN. Leur abondance exacte est particulièrement difficile à déterminer, car ces animaux sont souvent présents à de faibles densités dans des habitats éloignés. Mais selon les estimations les plus récentes, on recense environ 26 000 ours polaires. Quelques individus viennent aujourd’hui allonger cette liste : alors qu’ils exploraient le sud-est du Groenland, une équipe dirigée par le Polar Science Center de l’Université de Washington a découvert une nouvelle sous-population, très différente des autres.
« Nous savions qu’il y avait des ours dans la région d’après les archives historiques et les connaissances autochtones. Nous ne savions tout simplement pas à quel point ils étaient spéciaux », a déclaré le Dr Kristin Laidre, auteure principale de l’étude rapportant cette découverte. Alors qu’elle dispose d’un accès très limité à la glace de mer, cette sous-population a toutefois réussi à survivre.
Les conditions de glace de mer dans cette région du globe sont en fait similaires aux prévisions concernant le cercle arctique : la période annuelle « sans glace » dépasse de plus de 100 jours le seuil de jeûne estimé pour l’espèce, précise l’équipe dans Science. Mais les ours semblent s’être adaptés à cet environnement, et parviennent à chasser toute l’année grâce aux glaciers d’eau douce du Groenland, qui vêlent régulièrement de la glace dans l’océan.
La région isolée du sud-est du Groenland avait été jusqu’à présent peu étudiée en raison de son climat imprévisible, de son relief abrupt et de ses fortes chutes de neige. Les scientifiques ont collecté des données pendant sept ans pour étudier cette population. Ils ont constaté que ce groupe d’ours polaires était très différent de tous les autres d’un point de vue génétique. « Il s’agit de la population d’ours polaires la plus isolée génétiquement de toute la planète », a déclaré Beth Shapiro, généticienne à l’université de Californie à Santa Cruz et co-auteure de l’étude.
Un « refuge » qui ne pourra pas sauver l’ensemble de l’espèce
Les chercheurs estiment que quelques centaines d’ours constituent cette sous-population. Les mesures montrent que les femelles adultes sont plus petites que dans les autres régions et ont également moins d’oursons — sans doute de par la difficulté de trouver un partenaire dans cette région isolée. La conservation de cette nouvelle sous-population est essentielle pour préserver la diversité génétique et le potentiel évolutif de l’espèce, soulignent les chercheurs.
Ce groupe vit séparément des autres depuis au moins plusieurs centaines d’années. Cet isolement est dû à la géolocalisation de cette sous-population, encerclée par des montagnes escarpées, par le détroit du Danemark et par le courant côtier rapide du Groenland. En outre, contrairement aux autres populations d’ours polaires, les individus de ce groupe se déplacent peu : ils restent sur leur fjord ou escaladent les montagnes pour atteindre les fjords voisins. La moitié des 27 ours suivis par satellite ont « accidentellement flotté » sur de petites plaques de glace sur une moyenne de 190 kilomètres vers le sud, rapporte l’équipe, mais ont fini par quitter leur « embarcation » pour retourner à leur fjord d’origine.
Les glaciers du sud-est du Groenland sont assez uniques et l’approvisionnement régulier en glace dépend d’une combinaison de plusieurs facteurs : la forme des fjords, la production élevée de glace de glacier et le très grand réservoir de glace disponible dans la calotte glaciaire du Groenland. Des glaciers similaires existent sur d’autres parties de la côte du Groenland et au Svalbard — un archipel situé au nord de la Norvège.
La découverte de cette population suggère que les glaciers à terminaison marine, bien que leur disponibilité soit limitée, pourraient servir de refuges aux ours polaires. « Mais nous devons être prudents dans l’extrapolation de nos résultats, car la glace de glacier qui permet aux ours du sud-est du Groenland de survivre n’est pas disponible dans la majeure partie de l’Arctique », avertit Laidre. La spécialiste insiste sur le fait qu’il n’y a tout simplement pas assez d’habitats de ce type pour accueillir les 26 000 ours polaires actuellement menacés.