L’avènement des ordinateurs quantiques est loin d’être atteint. Les problèmes que pose la physique quantique quant à son application en informatique ne trouvent que peu de solutions, et les chercheurs avouent ne pas totalement comprendre ce qu’il se passe au sein de ces ordinateurs du futur. L’un des enjeux, notamment, est le refroidissement indispensable à leur fonctionnement. En effet, ces derniers (du moins pour une architecture standard) sont basés sur les interactions entre atomes froids, nécessitant un environnement maintenu à une température proche du zéro absolu. Des chercheurs de l’Université de Stuttgart semblent avoir contourné ce problème en permettant à un ordinateur quantique de refroidir alors même qu’il effectue des calculs.
Alors que les ordinateurs classiques arrivent au bout des performances atteignables avec leurs microprocesseurs et leurs données binaires (0 et 1) appelées « bits », leur version quantique utilise des « qubits », un bit qui exploite les caractéristiques de la physique quantique pour son fonctionnement. Grâce à cela, les qubits peuvent se trouver dans deux états simultanément (en superposition), permettant de jongler entre l’état 0, 1, ou les deux en même temps, offrant ainsi davantage de possibilités. Autrement dit, les ordinateurs quantiques permettraient de réaliser des calculs très complexes, irréalisables avec les machines actuelles, et ce avec une rapidité inégalée.
Néanmoins, la puissance d’un ordinateur quantique n’est pas uniquement dépendante du nombre de qubits qui lui sont intégrés. La qualité des super-conducteurs qui les composent est également cruciale. Il faut savoir que les qubits peuvent changer spontanément leur état quantique à la suite de perturbations introduites par l’énergie thermique, ou toute autre perturbation de leur environnement. Ce phénomène est connu sous le nom de « décohérence ». Si cela se produit avant la fin de l’exécution d’un algorithme, le résultat est un désordre confus — et non le résultat d’un calcul —, car toute information stockée dans le qubit est perdue. À l’image d’un ordinateur classique redémarrant toutes les secondes, il serait ainsi impossible de s’en servir.
C’est la raison pour laquelle les ordinateurs quantiques actuels utilisent un système de refroidissement très sophistiqué leur permettant de fonctionner à une température proche du zéro absolu (-273,15 degrés Celsius). À cette très basse température, l’énergie interne du système est minimale — les atomes sont quasiment figés. Par conséquent, la probabilité que les qubits changent d’état spontanément est beaucoup plus faible. Ce type de système possède de nombreux inconvénients, notamment un besoin d’espace (volume) et d’énergie conséquent.
Récemment, Eric Lutz et ses collègues de l’université de Stuttgart, en Allemagne, ont construit un ordinateur quantique à base de diamants imparfaits se refroidissant lui-même en effectuant une séquence d’opérations mathématiques, un « simple » algorithme. Leur étude est publiée dans la revue Physical Review Letters.
Des diamants imparfaits
Ces dernières années, des qubits ont été fabriqués à partir d’un certain nombre de systèmes isolés qui restent cohérents le temps d’exécuter des algorithmes. Il s’agit notamment d’ions (des atomes auxquels on ôte ou ajoute un électron) piégés, d’atomes de « Rydberg » ultra-froids et de photons (particules de lumière).
Sur cette base, les chercheurs ont construit leur ordinateur à partir de diamants imparfaits (auxquels il manque deux atomes de carbone). Ils ont remplacé l’un de ces atomes par un atome d’azote et laissé un espace vide, appelé vacance, à la place de l’autre. Il faut savoir que l’état quantique du qubit est le spin d’un électron individuel provenant d’un atome piégé dans une structure semi-conductrice. Le spin est assimilable à l’orientation magnétique de l’électron.
Pour manipuler chaque qubit, les chercheurs les ont soumis à des micro-ondes. Ils ont ainsi modifié le spin du noyau de l’atome d’azote ou des noyaux de deux atomes de carbone proches de la vacance. Chaque état quantique possède une quantité spécifique d’énergie. En les ordonnant dans une certaine séquence (structurée par un algorithme), les chercheurs peuvent l’utiliser pour modifier l’énergie de l’ordinateur et le refroidir.
Afin de trouver le meilleur algorithme, celui qui refroidit au maximum le système, les scientifiques ont évalué la capacité de l’algorithme à réduire l’énergie de l’ordinateur, et non la capacité à traiter l’information.
Contrairement aux grands ordinateurs centraux quantiques qui nécessitent un refroidissement énergivore, cette technologie quantique basée sur des diamants peut fonctionner à température ambiante, permettant leur utilisation dans une variété d’environnements réels. Effectivement, commencer avec des qubits à température ambiante et les refroidir en modifiant un algorithme est un avantage pratique et conséquent pour de futurs ordinateurs quantiques.
De plus, ce procédé fournit des qubits de haute qualité, stables et moins affectés par le bruit ambiant. La technique du diamant utilise un mélange hybride de caractéristiques physiques dérivées de systèmes mécaniques quantiques, plutôt que simplement les propriétés magnétiques utilisées par d’autres technologies quantiques, ce qui contribue à limiter les erreurs.
Des ordinateurs quantiques plus grands, à température ambiante
En mai dernier, le Pawsey Supercomputing Research Center, en Australie, a présenté le premier ordinateur quantique à base de diamants à température ambiante développé par Quantum Brilliance, société de matériel informatique quantique australo-allemande. Les processeurs de Quantum Brilliance devraient avoir la taille d’une carte graphique, atteignant 50 qubits d’ici 2025, a déclaré Mattingley-Scott, directeur général. Il vise également à créer un accélérateur quantique mono-puce. Il ajoute : « Ensuite, vous pourrez en installer des milliers dans votre centre de calcul et disposer de nombreux [nœuds] de cohérence quantique pour une parallélisation massive des calculs quantiques ». La startup étudie également les algorithmes les mieux adaptés pour un plus grand parallélisme.
Les auteurs de la présente étude visent maintenant à intégrer leur technologie dans des ordinateurs plus grands, également refroidis par un algorithme et pouvant, de fait, réaliser des calculs plus complexes que les ordinateurs quantiques actuels. Ces derniers nécessitent des systèmes encombrants pour les refroidir, et le risque d’erreurs est élevé. Comme le décrit dans un article Landry Bretheau, professeur en physique quantique à l’École polytechnique de Paris : « Les ordinateurs quantiques actuels ressemblent à de grosses boîtes de conserve suspendues au plafond, refroidies proche du zéro absolu, desquelles pendent des centaines de câbles ».