Uber fait face à une « fuite » de données internes. Quelque 124 000 documents confidentiels ont été confiés au journal The Guardian. Transmis au Consortium international de journalisme d’investigation (ICIJ), ils révèlent les pratiques plus que douteuses de l’entreprise. Au milieu de cette tourmente, Emmanuel Macron a été mis sous les feux des projecteurs. Il aurait conclu un « accord secret » avec Uber, à l’époque où il était ministre de l’Économie.
L’enquête menée par ICIJ est basée sur « une fuite de textes sensibles, d’e-mails, de factures, de notes d’information, de présentations et d’autres documents échangés par de hauts dirigeants d’Uber, des bureaucrates gouvernementaux et des dirigeants mondiaux dans près de 30 pays », précise le consortium dans un rapport. Elle a mis à contribution 180 journalistes de 40 médias et 29 pays différents. Ils ont entrepris d’analyser les documents pour en extraire des informations sensibles.
Les fichiers diffusés datent de la période entre 2013 et 2017. « La fuite s’étend sur une période de cinq ans lorsqu’Uber était dirigé par son co-fondateur Travis Kalanick, qui a tenté de forcer ce service de VTC dans les villes du monde entier, même si cela impliquait d’enfreindre les lois et les réglementations sur les taxis », affirme l’enquête. Les journalistes n’ont visiblement pas été en mal d’informations. Leurs recherches ont, entre autres, révélé des obstructions à la justice lors de perquisitions ou enquêtes sur l’entreprise, mais aussi de nombreux cas de collusions avec des personnalités haut placées dans différents pays. Plus de 100 réunions entre Uber et des représentants de l’État à travers le monde se seraient ainsi tenues, toujours selon les rapports des journalistes d’investigation, pour demander des faveurs. Lesdites faveurs incluaient l’abandon d’enquêtes et la modification des politiques sur les droits des travailleurs.
Comme on peut le voir sur ce document, de 2014 à 2016, les dirigeants d’Uber ont tenu plus de 100 réunions avec des fonctionnaires de 17 pays ainsi qu’avec des représentants des institutions de l’Union européenne. Parmi les personnalités pointées du doigt, Emmanuel Macron. Il était à l’époque ministre de l’Économie sous le gouvernement de François Hollande. Depuis la diffusion des fichiers au Guardian, Mark MacGann, ancien lobbyiste au sein de l’entreprise, s’est revendiqué à l’origine de cette « fuite ». L’enquête détaille notamment les réunions et les communications que lui et Uber auraient eues avec l’actuel président de la République. Le point qui a sans doute été le plus souligné à l’heure actuelle est celui d’un « accord secret » en faveur d’Uber. Emmanuel Macron aurait ainsi affirmé l’avoir négocié avec ses opposants au sein du gouvernement.
« Dans son rôle de ministre de l’Économie »
À ce sujet, François Hollande, à l’époque président de la République, a fait savoir au Journal Libération qu’il n’avait en effet « pas connaissance » d’un quelconque deal. Une autre marque clef du soutien d’Emmanuel Macron résiderait dans les échanges avec Uber en 2015. Cette année-là, un responsable de la Police française avait cherché à interdire l’un des services d’Uber à Marseille. Mark Macgann s’est alors tourné vers Emmanuel Macron, qui a échangé des messages à cette occasion pour l’assurer de son soutien : « Je vais regarder cela personnellement », avait alors répondu Emmanuel Macron. « À ce stade, restons calmes ». Certaines pratiques qui auraient aidé Uber à consolider ses positions en France sont aussi questionnées. Emmanuel Macron aurait ainsi suggéré à l’entreprise de présenter des amendements « clés en main » à des députés.
Les groupes d’opposition de l’Assemblée nationale ont réclamé l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire concernant toute cette affaire. Le ministre de l’Économie Bruno Le Maire a toutefois apporté son soutien à Emmanuel Macron, affirmant en marge du sommet « Choose France » à Versailles qu’il « était totalement dans son rôle de ministre de l’Économie en ayant des contacts avec le président d’Uber et en cherchant à ouvrir le marché des plateformes en ligne ». La dernière information en date qui pose question à ce sujet a été directement indiquée par Mark MacGann. Il a ainsi déclaré avoir aidé Emmanuel Macron à récolter des fonds pour son parti naissant en 2016. Les faits ont cependant eu lieu après son départ d’Uber, et il a précisé qu’ils n’avaient selon lui « absolument rien à voir avec Uber ».
En dehors de cette proximité avec le ministre de l’Économie, l’entreprise Uber doit aussi aujourd’hui justifier d’autres déboires en France. Des échanges par message montrent en effet clairement que Travis Kalanick, le dirigeant de l’époque, considérait la possibilité de violences contre les chauffeurs Uber en France comme une opportunité. Elles permettaient en effet à ses yeux de gagner le soutien du public. D’autres dirigeants de l’entreprise avaient en effet des doutes quant à l’opportunité de la présence de chauffeurs Uber lors des manifestations de taxis en France. Ils craignaient notamment que des chauffeurs puissent être blessés. « Je pense que ça vaut le coup », a-t-il alors clairement répondu. « La violence garantit le succès ».
D’autre part, la France fait partie des différents pays où la technique du « kill switch » aurait été utilisée. Il s’agit d’une série de manipulations informatiques permettant de couper l’accès aux serveurs contenant des données sensibles en cas de perquisition. « L’accès aux outils informatiques a été coupé immédiatement. La police ne pourra pas récupérer grand-chose, voire rien du tout », a par exemple envoyé en 2015 un cadre d’Uber à l’un de ses collègues, lors d’une perquisition dans les locaux parisiens d’Uber. Le message, qui faisait partie des Uber Files, a été relayé par France Info.
Un porte-parole de Travis Kalanick a cherché à démentir ces informations depuis. Il a affirmé qu’il n’avait jamais suggéré de profiter de cette violence au détriment de la sécurité des chauffeurs Uber, ni cherché à entraver la justice. Quant à l’entreprise Uber, elle a admis « des erreurs et des faux pas ». Elle a également justifié qu’elle avait évolué depuis 2017, sous la direction de son directeur général actuel, Dara Khosrowshahi.