La fibromyalgie est caractérisée par des symptômes chroniques (d’intensité modérée à sévère), incluant des douleurs, de la fatigue, des troubles cognitifs et du sommeil. Difficile à diagnostiquer et incurable, elle affecte 2 à 4% de la population adulte, et en particulier les femmes. Des chercheurs ont mis en évidence des altérations significatives des bactéries métabolisant la bile dans l’intestin et des acides biliaires dans le sang chez ces patientes. L’utilisation de l’intelligence artificielle pour identifier une signature biologique spécifique pourrait faciliter le diagnostic de la fibromyalgie.
Ces dernières années, les preuves du rôle critique du microbiote intestinal dans une variété de pathologies — notamment les troubles métaboliques, cardiovasculaires, neurologiques et psychiatriques — se sont accumulées. Des chercheurs de l’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill (Canada) s’intéressent particulièrement au lien entre la flore intestinale et la fibromyalgie. En 2019, ils ont montré pour la première fois que le microbiote intestinal de patientes atteintes de fibromyalgie présentait des altérations significatives par rapport à celui des témoins. De plus, sa composition était corrélée à la gravité des symptômes.
Dans le cadre du projet sur le microbiote de la fibromyalgie (mené entre 2017 et 2018), cette équipe de scientifiques a poursuivi ses recherches pour mieux comprendre l’association entre les bactéries intestinales et le syndrome. « Nos résultats montrent une forte relation entre la composition du microbiote des patientes, les acides biliaires et la sévérité des symptômes de la fibromyalgie », déclare dans un communiqué de l’université l’auteur principal de l’étude, le Dr Yoram Shir.
Signature biologique des acides biliaires
En particulier, des changements dans l’abondance relative de certaines bactéries métabolisant les acides biliaires ont été relevés. Pour rappel, les acides biliaires (sécrétés par le foie) aident à la digestion des huiles et des graisses dans l’organisme. Une fois assimilés par l’intestin, ils circulent vers le foie et le sang et deviennent des acides biliaires secondaires.
« La modification des acides biliaires que nous avons observée chez les patientes atteintes de fibromyalgie dans notre étude est suffisamment distincte pour être utilisée comme une signature biologique efficace pour détecter les personnes atteintes de fibromyalgie », explique le Dr Amir Minerbi, co-auteur de l’étude, laquelle compare 42 femmes atteintes de la maladie avec 42 femmes saines.
En effet, les chercheurs ont observé des altérations de la concentration de plusieurs espèces bactériennes connues pour métaboliser les acides biliaires chez les femmes atteintes de fibromyalgie, par rapport aux témoins. Elles étaient accompagnées d’altérations de la concentration en acides biliaires secondaires dans le sang, notamment l’acide alpha-muricholique (aMCA) : en moyenne cinq fois moins présent chez les patientes atteintes de fibromyalgie que chez les participantes saines. La présence de l’acide était négativement corrélée avec la plupart des symptômes de la maladie, notamment la douleur, la fatigue, le sommeil non réparateur et les troubles cognitifs.
Un lien entre la concentrations en acides biliaires et les symptômes
L’équipe de recherche a recueilli des échantillons de selles pour l’analyse des bactéries du microbiote, ainsi que des échantillons de sang pour l’analyse des acides biliaires. Pour voir s’il existait un lien entre les altérations observées et la sévérité des symptômes, les participantes ont été invitées à évaluer plusieurs paramètres : douleur, fatigue, qualité de sommeil, problèmes cognitifs, raideurs musculaires, symptômes d’anxiété et de dépression, etc. La nouvelle étude établit la première association significative des concentrations sanguines d’acides biliaires avec la douleur chronique.
Les chercheurs se sont également appuyés sur l’intelligence artificielle pour diagnostiquer plus facilement la maladie. Ils ont constaté que la présence spécifique de six acides biliaires secondaires permettait de prédire si une personne était atteinte de fibromyalgie, avec une précision de plus de 90%. « Des algorithmes d’apprentissage statistique pourraient détecter avec précision les personnes atteintes par la maladie en utilisant la concentration de ces acides biliaires sériques », écrivent les auteurs dans Pain.
Même si l’étude est en attente de relecture et que l’échantillon des patientes interrogées reste faible, les chercheurs estiment que leurs résultats ont fourni une signature biologique précise de la fibromyalgie et que l’intelligence artificielle pourrait être en mesure d’améliorer le diagnostic de la maladie.