Des neuroscientifiques de l’Université de Birmingham ont découvert qu’un médicament anticancéreux en cours de développement, était capable de stimuler la régénération des nerfs endommagés après un traumatisme de la moelle épinière. Ce médicament, baptisé AZD1390, a été conçu à l’origine pour augmenter la sensibilité des cellules cancéreuses à la radiothérapie.
Selon l’Organisation mondiale de la santé, entre 250 000 et 500 000 personnes dans le monde subissent chaque année une lésion de la moelle épinière. La majorité des cas sont dus à un traumatisme (accident de la route, chute, etc.). Les symptômes — perte partielle ou totale de la fonction sensorielle et/ou du contrôle moteur des membres — dépendent de la gravité de la blessure et de son emplacement exact. Les personnes concernées sont deux à cinq fois plus susceptibles de mourir prématurément. À l’heure actuelle, il n’existe malheureusement aucun remède.
Le traitement des lésions médullaires est en effet très complexe, d’autant plus que les neurones du système nerveux central présentent naturellement une faible capacité à se régénérer après une blessure. Ces lésions se caractérisent par l’accumulation de cassures double brin non réparées dans l’ADN des neurones, qui entraînent une instabilité du génome dans les cellules qui se répliquent et peuvent déclencher l’apoptose (l’autodestruction des cellules). Ces cassures provoquent l’activation de l’ATM, une protéine kinase qui régule leur réparation.
Un mécanisme impliqué dans deux conditions différentes
La protéine ATM est capable de réparer les cassures occasionnées par des processus physiologiques ou des agressions physiques, telles des radiations ionisantes ; elle ralentit le cycle cellulaire des cellules concernées et stimule la réparation de l’ADN. Si ce dernier est irréparable, la cellule est éliminée par apoptose.
Le médicament candidat AZD1390, dont le développement est soutenu par le programme Open Innovations d’AstraZeneca, vise à améliorer l’efficacité de la radiothérapie dans le traitement du cancer. Son mode d’action consiste à pénétrer dans le cerveau, où il inhibe le mécanisme de réponse de l’ATM aux cassures double brin de l’ADN — des dommages qui sont aussi produits dans plusieurs cancers courants.
Parce que ce mécanisme de réponse est apparemment impliqué dans deux conditions non liées (lésion médullaire et cancer), le Pr Zubair Ahmed et le Dr Richard Tuxworth ont émis l’hypothèse que l’activation persistante de ce système pouvait empêcher la récupération après une lésion nerveuse et que son blocage via l’AZD1390 favoriserait, au contraire, la réparation des nerfs et le rétablissement des fonctions sensorielles et motrices.
Les deux chercheurs ont utilisé des modèles cellulaires (des neurones du ganglion spinal) et animaux pour vérifier leur hypothèse. Les premières expériences ont révélé que l’AZD1390 stimulait la croissance des cellules nerveuses en culture et inhibait la voie de la protéine kinase ATM. « Le traitement des cultures de neurones du ganglion spinal avec des concentrations croissantes d’AZD1390 de 1 à 10 nM a réduit de manière significative les niveaux d’activation de l’ATM — 5 nM étant la dose la plus faible et la plus efficace », rapportent les chercheurs. Les taux de survie cellulaire dépassaient les 80%.
Une récupération « spectaculaire » des fonctions sensorielles et motrices
Ils ont ensuite étudié l’effet de l’AZD1390 sur des souris ayant subi une lésion de la moelle épinière. Ils leur ont administré chaque jour une dose de 20 mg/kg du médicament. Les résultats étaient particulièrement encourageants : « Nos résultats montrent une récupération remarquable des fonctions sensorielles et motrices, et les animaux traités à l’AZD1390 ne se distinguent pas des animaux non blessés dans les quatre semaines suivant la blessure », a commenté le professeur Ahmed.
Le traitement par l’AZD1390 a entraîné une inhibition significative de la voie de la protéine kinase ATM, et a favorisé la régénération des nerfs au-delà du site de la blessure. La capacité de ces nerfs à relayer les signaux électriques s’est par ailleurs améliorée.
Dans les deux expériences, les résultats étaient similaires ou meilleurs que ceux obtenus avec un autre inhibiteur de la voie ATM, nommé KU-60019, testé en parallèle. « L’AZD1390 pourrait être un médicament réparateur de premier ordre pour le traitement des lésions médullaires », concluent les deux scientifiques.
Le professeur Ahmed se réjouit de constater que plusieurs médicaments expérimentaux ont déjà été identifiés comme traitements potentiels de lésions de la moelle épinière. Mais l’avantage de l’AZD1390 est qu’il peut être administré simplement, par voie orale, et qu’il affiche déjà un bon profil d’innocuité. Le fait qu’il soit déjà testé dans d’autres conditions permettra d’accéder plus rapidement aux essais cliniques.
À noter que cette annonce intervient quelques semaines après que la même équipe de recherche a montré qu’un autre médicament expérimental (nommé AZD1236) — un inhibiteur puissant et réversible de la MMP-9 et de la MMP-12 humaines — peut réduire les dommages causés par une lésion de la moelle épinière, en bloquant la réponse inflammatoire.