La magnétogénétique, ou l’utilisation du contrôle électromagnétique, consiste à activer des cellules à l’aide de champs magnétiques, par exemple des neurones. Ce procédé pourrait être appliqué à des cas de Parkinson, de TOC ou encore d’épilepsie, afin de remplacer les électrodes utilisées pour la stimulation cérébrale profonde. Récemment, une équipe de recherche dirigée par des neuro-ingénieurs américains a développé une technologie sans fil permettant d’activer à distance des circuits cérébraux spécifiques chez les mouches à fruits, et ce en moins d’une seconde. La vitesse de contrôle magnétique à distance atteinte se rapproche de celle du cerveau, laissant espérer des thérapies sans chirurgie.
L’activation à un moment précis de cellules ciblées est un outil puissant pour étudier le cerveau, traiter les maladies (stimulations profondes pour Parkinson ou l’épilepsie) et développer une technologie de communication directe cerveau-machine ou cerveau-cerveau. Avec la magnétogénétique, ou le contrôle magnétique de l’activité cellulaire, les chercheurs ont trouvé un moyen de contrôler les neurones avec des électro-aimants. Ce procédé utilise le chauffage par nanoparticules magnétiques de canaux ioniques de cellules sensibles à la température.
Cependant, le temps de réponse in vivo de la magnétogénétique thermique est actuellement de plusieurs dizaines de secondes, ce qui empêche une modulation temporelle précise de l’activité neuronale. Récemment, des chercheurs de l’Université Rice, de la Duke University, de la Brown University et du Baylor College of Medicine ont utilisé des signaux magnétiques pour activer des neurones ciblés beaucoup plus rapidement qu’auparavant, permettant de contrôler la position du corps de mouches à fruits se déplaçant librement dans une enceinte. Leurs résultats sont publiés dans la revue Nature Materials.
Piratage cérébral chez la mouche
Jacob Robinson, auteur principal de l’étude, professeur agrégé en génie électrique et informatique à l’Université de Rice, déclare dans un communiqué : « Pour étudier le cerveau ou pour traiter les troubles neurologiques, la communauté scientifique est à la recherche d’outils à la fois incroyablement précis, mais aussi peu invasifs ».
Ainsi, pour parvenir à leur objectif d’accroitre la vitesse du contrôle magnétique à distance, les chercheurs ont utilisé un nouveau canal ionique sensible au changement de température, grâce à la mutualisation des savoirs entre le génie génétique, la nanotechnologie et le génie électrique.
Concrètement, les chercheurs ont commencé par modifier génétiquement les mouches afin qu’elles expriment ce canal ionique spécifique, sensible à la chaleur, dans certains de leurs neurones. Ces derniers amènent les mouches à déployer partiellement leurs ailes, un geste d’accouplement courant. En d’autres termes, si le canal ionique capte la chaleur, il s’ouvre et active le neurone, les mouches déploient alors leurs ailes.
Par suite, ils ont injecté, dans le cerveau des mouches, des nanoparticules d’oxyde de fer, magnétiques, pouvant être chauffées avec un champ magnétique. Une caméra aérienne a observé les mouches alors qu’elles erraient librement dans une enceinte, au-dessus d’un électroaimant. Lorsque les chercheurs ont activé le champ magnétique dans l’enceinte, les nanoparticules ont converti l’énergie magnétique en chaleur, activant les canaux auxquels elles étaient liées. Ces canaux se sont alors ouverts induisant l’activité des neurones. Une analyse de la vidéo des expériences a montré que les mouches, avec les modifications génétiques, adoptaient la posture d’ailes déployées environ une demi-seconde après le changement de champ magnétique.
Robinson a déclaré que la nouvelle technologie active les circuits neuronaux environ 50 fois plus rapidement que la meilleure technologie précédemment démontrée pour la stimulation magnétique de neurones génétiquement définis.
Des thérapies non invasives et un transfert de pensées entre personnes
Robinson est chercheur principal sur MOANA (acronyme de « accès neuronal magnétique, optique et acoustique »), un projet visant à développer une technologie de casque pour la communication non chirurgicale, sans fil, de cerveau à cerveau. L’équipe de Robinson travaille dans le but de restaurer partiellement la vision des patients aveugles, en stimulant les parties du cerveau associées à la vision.
Robinson souligne : « L’objectif à long terme de ce travail est de créer des méthodes pour activer des régions spécifiques du cerveau chez l’homme à des fins thérapeutiques sans jamais avoir à effectuer de chirurgie. Pour atteindre la précision naturelle du cerveau, nous devons probablement obtenir une réponse de quelques centièmes de seconde. Il y a donc encore du chemin à faire ».
Néanmoins, MOANA est financé par la Defense Advanced Research Projects Agency (DARPA). Cette dernière vise d’autres objectifs que celui de rendre la vue aux personnes aveugles. En effet, l’agence souhaite développer un casque capable à la fois de « lire », ou décoder, l’activité neuronale dans le cortex visuel d’une personne et d’« écrire », ou encoder, cette activité dans le cerveau d’une autre personne. Il s’agit donc essentiellement de transférer des pensées ou des perceptions entre les personnes.
Depuis 2019, les études ne cessent de progresser, grâce aux financements de la DARPA. En janvier 2021, ce n’est pas moins de 8 millions de dollars américains que le ministère de la Défense a fournis aux neuro-ingénieurs de l’Université Rice, pour obtenir une preuve de concept. L’équipe prévoyait de transmettre des images visuelles perçues par un individu dans l’esprit de patients aveugles.
Robinson, qui orchestre les efforts de 16 groupes de recherche de quatre États, déclare que le deuxième cycle de financement de la DARPA permettra à l’équipe de « développer davantage ce procédé dans un système et de démontrer que ce système peut fonctionner dans un vrai cerveau, en commençant par les rongeurs ». Si les démonstrations réussissent, l’équipe devrait commencer à travailler avec des patients humains d’ici deux ans. Les résultats de l’étude sur la mouche les rapprochent un peu plus de cette échéance. Cependant, le côté déontologique et éthique de cette volonté de lire les pensées devra faire l’objet d’un examen particulièrement attentif, quant aux droits humains.